11.4 Cheminement vers l’actualisation et fonctions de l’Église


Pour déterminer les actions de l’Église locale, le processus a souvent été de partir des fonctions de l’Église plutôt que des besoins humains. Mais dans le modèle de croissance intégrale proposé on souhaite tenir compte des besoins du milieu. Idéalement il devrait y avoir symbiose entre les fonctions de l’Église et les besoins spécifiques du milieu. Regardons maintenant ce que l’on entend par fonction de l’Église. Selon Thom Rainer, il y en a quatre : la liturgie, le service social, l’évangélisation et la formation des disciples[37]. Selon Georges Peters un autre auteur du MCE, elles concernent Dieu (célébration, adoration, louange, intercession, la communauté chrétienne), la communion fraternelle, l’éducation chrétienne, l’édification, la discipline chrétienne et le monde environnant (évangélisation, service, instruction, jugement moral)[38]. Dr Don Hoke insiste sur un élément important : les fonctions de l’Église doivent déboucher sur une action dans le monde[39]. Le soin pastoral de la communauté, l’éducation chrétienne et la liturgie sont appelés à créer un élan d’amour qui rejaillit sous forme de mission, à l’image de la Trinité dont l’amour fécond rayonne sur le monde.


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Rick Warren, pour sa part, déduit les fonctions de l’Église des buts de l’Église. S’appuyant sur certains passages bibliques (Mat 22:37-40[40] et Mat 28:19-20[41]), il estime que la communauté chrétienne a cinq buts : Aimer Dieu de tout son cœur, aimer son prochain comme soi-même, faire des disciples, les baptiser et leur apprendre à obéir aux préceptes chrétiens. C’est de ces cinq buts qu’il déduit les fonctions de l’Église : Célébration liturgique - Mission comprise comme évangélisation - Incorporation des membres à l’Église (Baptême et engagement vis-à-vis de l’Église locale) - Éducation vers la maturité chrétienne - Ministères de services des membres de la communauté chrétienne.


Le point de vue de Rick Warren est intéressant, car il ne conçoit aucune des fonctions de l’Église sans l’implication de l’ensemble des membres de la communauté. La structure et les activités de son Église locale ne peuvent tout simplement pas fonctionner sans les laïcs. Un autre élément intéressant, c’est que la manière dont il conçoit les fonctions de l’Église permet de rejoindre les besoins de ses membres et ainsi facilite leur implication. Quels sont les besoins humains qui sont rejoints par ces fonctions ? C’est ce que nous allons voir dans le tableau qui suit où les besoins sont classifiés en sept catégories :

  1. Survie (temporelle et éternelle) : Guérison, salut, sécurité, possession
  2. Transcendance : Relation à Dieu
  3. Amour : Aimer et être aimé, être pardonné et accepté, appartenance à un groupe
  4. Pouvoir : Maîtrise de soi, connaissance, réalisation, réussite, efficacité, résultats
  5. Plaisir : Joie, paix, confort
  6. Sens et Utilité
  7. Liberté : dignité et responsabilité

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Il ne s’agit pas ici d’une présentation exhaustive des besoins rejoints par les fonctions de l’Église de Rick Warren, mais on voit que l’on peut concevoir les fonctions de l’Église en tenant compte des besoins humains. Les efforts du pasteur sont louables car la manière dont son Église est structurée permet de faire prendre aux chrétiens le chemin de la croissance spirituelle et de l’implication dans la mission. Il insiste sur l’importance de faire des disciples et pour lui un disciple c’est un chrétien impliqué dans la mission. Il a aussi défini les buts de son Église non seulement à partir de l’impératif missionnaire de l’Évangile de Matthieu mais aussi sur les deux plus grands commandements de la Loi. Mais hélas, on ne sort pas d’une approche fortement numérique qui donne la priorité quasi-absolue à l’évangélisation[42]. La dimension sociale n’est pas évidente à première vue dans sa conception des fonctions de son Église. Il est à mon avis nécessaire d’aller plus loin et d’équilibrer le modèle en définissant aussi les buts de l’Église à partir de la parabole du jugement dernier (Mat 25:31-46) comme l’ont fait les Missionnaires de la Charité.


La façon traditionnelle en théologie de comprendre les buts de l’Église est de remonter aux grands titres de Jésus. À Jésus prophète correspond la fonction prophétique de la mission ecclésiale : évangélisation, catéchisation, interprétation. À Jésus grand prêtre, correspond la fonction cultuelle de la mission ecclésiale: prière et offrande spirituelle de la vie, liturgie et sacrements. À Jésus roi et Seigneur, en lien avec le Règne de Dieu qu'il inaugure sur l'Église et sur le monde, correspond la fonction royale de la mission. À Jésus pasteur de la partie de l'humanité qui accepte de le suivre dans le rassemblement communionel effectif de l'Église, correspond la fonction communautaire de la mission : formation, consolidation et gouverne de la communauté, sollicitude pour elle, entr’aide et services. À Jésus sauveur, guérisseur et libérateur correspond la fonction socioculturelle de la mission ecclésiale: humanisation et libération au service du monde[43].


On retrouve ainsi quatre grandes fonctions de l’Église[44]:


1) La fonction prophétique, qui tient en trois pôles : I'évangélisation première pour un appel à la foi et à la conversion aux exigences évangéliques; la catéchisation, ou enseignement et discours chrétien articulé ; I'interprétation : discernement; interprétation des sources chrétiennes, interprétation de la vie à la lumière du sens chrétien, réinterprétation des croyances pour un discours chrétien pertinent.


2) La fonction cultuelle, qui est la fonction d'animation du culte spirituel : prière et liturgie.


3) La fonction hodégétique, qui est la fonction communautaire, c'est-à-dire de conduite ou de gouverne de la communauté, axée sur le service de la charité « ad intra » ou d’entr'aide[45]. Elle concerne I'intégration de la communauté et le service de la fraternité : la prise en charge des services de la communauté et des formes d'entraide envers ses membres.


4) La fonction socioculturelle, qui est la fonction de service au monde, dans les structures de la société, en dehors des frontières de l'Église. Elle est service de la charité «ad extra»[46] qui implique deux pôles : I'humanisation ou le service humanitaire; et la libération ou l'entreprise de transformation.


Comme le souligne justement André Charron, la diversification et l'intégration des quatre fonctions doivent être maintenues dans la mission de toute communauté si l'on ne veut pas tronquer la mission d'une de ses composantes essentielles[47]. À partir d’une telle grille et en tenant compte des besoins humains, il sera plus facile d’élaborer un modèle qui met l’accent non seulement sur l’évangélisation, mais qui accorde à chacune des fonctions de l’Église une place égale.


Regardons aussi comment la prise en compte du texte de la parabole du jugement dernier (Mat 25:31-46) permet de remettre en avant la fonction sociale de l’Église.


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Le dernier tableau intègre tous les éléments dont nous avons parlé : besoins de la personne, activités ecclésiales, et fonctions de l’Église, afin de montrer que l’on peut effectivement partir des besoins humains pour définir les activités de l’Église, tout en respectant les exigences de la mission chrétienne et donner à chacune des fonctions ecclésiales une importance égale. Grâce à une telle approche nous en arrivons à un modèle d’Église qui est au service de la personne et de ses besoins et où la dichotomie entre proclamation et œuvres est dépassée.


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Le tableau, qui pourrait être encore enrichi de nouvelles activités, montre combien il est nécessaire de penser la structure de l’Église au moins autant en fonction des personnes que des textes bibliques. L’Église sera ainsi porteuse d’un sens plus grand que si on organise la communauté seulement à partir de préceptes bibliques qui, mal interprétés, peuvent mettre la personne au service de l’Église plutôt que le contraire. Dans le modèle de croissance intégrale, les activités de l’Église sont mises sur pied, non seulement selon les fonctions de l’Église, mais aussi selon la culture et les besoins présents dans le milieu.



NOTES


[37] Cf. T. RAINER, op. cit., p. 148.

[38] Cf. G. W. Peters, A Theology of Church Growth, Grand Rapids, Zondervan Publishing House, 1981, p. 186.

[39] Cf. ibid., p. 247.

[40] Mat 22:37-40 : Jésus lui dit : " Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit : voilà le plus grand et le premier commandement. Le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. A ces deux commandements se rattache toute la Loi, ainsi que les Prophètes. "

[41] Mat 28:19-20 : Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous prescris. Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu'à la fin du monde.

[42] Les activités de son Église sont évaluées par des questions comme celles-ci : Combien ? Combien de plus par rapport à l'année dernière ? Combien de personnes avons-nous amené à Christ ? Combien y a-t-il de nouveaux membres ? Combien d'entre eux font preuve de maturité spirituelle? Quels sont les signes de maturité que nous recherchons ? Combien ont été équipés et mobilisés pour le ministère ? Combien remplissent leur mission dans le monde? (R. WARREN, op. cit., pp. 107-108.

[43] Cf. A. CHARRON, « La spécificité pastorale du projet d’intervention » dans la collection : Cahiers d’études pastorales (vol.5), La praxéologie pastorale : Orientations et parcours / sous la direction de Jean-Guy Nadeau, Tome II, Montréal, Fides, 1987, pp.165-166.

[44] Cf. ibid., pp.166-167.

[45] Ibid., p.167.

[46] Ibid., p.167.

[47] Cf. ibid., p.167.