10.2 La seule pauvreté qui plaît à Dieu


La Bible attribue aux pauvres et à la pauvreté une place importante. Dans les Écritures, on trouve aussi une pauvreté qui a un sens positif, une forme de pauvreté qui plaît à Dieu[2]. La pauvreté qui est un atout est celle qui ouvre la porte de la vraie richesse; c’est celle qui permet à l’être humain de se tourner vers Dieu pour recevoir le salut. La pauvreté « agréable » à Dieu permet aux êtres humains de reconnaître que la soif qui les habite ne peut être satisfaite que par Lui, que par une relation avec Lui. Elle permet de reconnaître aussi le besoin des autres, de leur compagnie et de leur appui. Cette forme de pauvreté ouvre la porte de la vraie richesse de la communion avec Dieu et avec le prochain. Étant la condition d’accueil de l’Évangile et de la croissance spirituelle, elle est celle qu’il faut savoir repérer chez les personnes du milieu.


En repérant, dans le milieu, les personnes que Dieu a préparées à recevoir la Bonne Nouvelle, les efforts des évangélisateurs ne sont pas vains. Si les membres de la communauté chrétienne n’ont pas les yeux pour la voir, ils perdront inévitablement leur temps à annoncer l’Évangile à des personnes qui ne sont pas en état, pour l’instant, de le recevoir. Tel a été le cas pour Paul lorsqu’il s’est adressé aux Athéniens (Ac 17:32-33) trop « riches d’eux-mêmes » et de leur connaissance pour accueillir ce que Paul leur annonçait. La question à se poser avant de se lancer dans la proclamation de la Bonne Nouvelle est donc : quelles sont les personnes de mon milieu qui peuvent s’avérer réceptives à la Bonne Nouvelle ? Seulement alors devrait-on élaborer des stratégies d’évangélisation. McGavran insistait à juste titre pour que l’on tienne compte de la réceptivité des personnes d’un milieu[3]. Le pauvre spirituellement est la personne réceptive, déclarée heureuse par Jésus (Mat 5:3) car en état de recevoir la vraie richesse de l’Évangile.


A cet égard, Job apparaît comme le modèle du pauvre: il refuse de s'en remettre à des explications et à des justifications rapides ou simplistes, mais accepte au contraire l'obscurité d'une nuit intérieure, attente de Dieu, dans laquelle viendra la lumière de vérité. L'Évangile du Salut n'est-il pas justement la Bonne Nouvelle grâce à laquelle ceux qui étaient démunis, perdus, enchaînés deviennent comblés, guéris, libres? Celui-là seul qui éprouve dans son « cœur » de telles attentes peut se tourner vers l'Évangile salutaire de l'Alliance avec Dieu, en Jésus-Christ, et l'accueillir positivement en lui[4].


La personne réceptive à l’Évangile est celle qui voit surgir en elle la question du « pourquoi ? ». Elle devient un véritable destinataire actif de l'Évangile, pauvre selon l’esprit des Béatitudes. Les besoins de réponses, de bonheur, surgissent alors comme des attentes conscientes d'un Salut qui pourra se révéler un jour « Évangile ». Cette pauvreté aux multiples visages fait surgir aux différents paliers où elle s'exprime un besoin impérieux d'en sortir[5].


La rencontre entre le besoin de salut et l’Évangile produit, chez celui qui croit, la conversion. Elle correspond à l'attitude intérieure de celui qui se tourne vers le Salut annoncé et offert dans l'Évangile. À la source de cette attitude, on trouve la grâce prévenante de l’Esprit qui dispose à écouter[6]. Le besoin de Dieu pour être sauvé, apparaît comme condition élémentaire de la conversion. Celui qui se convertit éprouve alors la conscience d'être sauvé de sa pauvreté existentielle. Cette pauvreté nécessaire au salut respecte la dignité de la personne car elle est au fond un enrichissement de la grâce de Dieu, posant entre Lui et celui ou celle qui en fait l’expérience, les bases d'une véritable relation de salut et de croissance.


Le « riche » par contre est celui qui s'auto-suffit, qui prétend tout pouvoir trouver en lui-même et par lui-même. Il pense ne pas avoir besoin des autres sinon pour s’en servir, les considérant comme un bien dont il peut disposer à sa guise et dont il peut se débarrasser quand il veut[7]. Une telle perception conduit bien sûr à l’injustice, à l’exploitation, à l’irresponsabilité; c’est l’antithèse de l’amour. Le riche n'attend rien d'extérieur à lui-même, il déclare ne pas avoir besoin de Dieu, ne pas avoir de compte à rendre et peut aller jusqu’à s'estimer « comme un dieu ». Paradoxalement, même une personne dite religieuse peut avoir une telle attitude lorsqu’elle met Dieu à son service, ne s’approchant de Lui que pour demander des bénédictions personnelles sans tenir compte des autres, du mal qui leur arrive ou du mal qu’elle peut faire elle-même.


On comprend ainsi pourquoi la pauvreté peut, dans certains cas, être recherchée comme un état de vie évangélique. Non pas que Dieu aime la pauvreté, mais celle-ci permet de mieux comprendre ce que vit le pauvre, de se rendre compte de sa souffrance, de compatir avec lui et en fin de compte de mieux savoir l’aimer. En se dénudant de la recherche de soi et de certaines richesses, on acquiert la richesse suprême : l’amour. Dans son témoignage, Mère Térésa explique son avancée dans les eaux profondes de la charité et de la pauvreté matérielle lorsqu’elle a quitté sa première communauté pour répondre à l’appel de Dieu :


Je le répète, c'est à regret que j'ai laissé mon premier couvent. Il va de soi que je n'en suis pas sortie pour trouver ailleurs une plus grande liberté... Aussitôt partie, je me suis vue à la rue, dans un dénuement total, livrée à moi-même, sans soutien, sans argent, sans travail, ni espoir d'en obtenir, sans protection sociale ni aucune sécurité matérielle (…) Cela me fit toucher du doigt la détresse des Pauvres, toujours à la recherche d'un peu de nourriture, de secours, de quelque chose, des Pauvres dénués de tout[8].


La pauvreté peut permettre de se détourner de soi et de se tourner vers l’autre, les épreuves qu’elle fait vivre aident à comprendre les pauvres et les souffrants. Mais la pauvreté n’est pas seulement présente dans le tiers-monde, elle se situe dans les pays « riches » à d’autres niveaux et la souffrance qu’elle cause peut être parfois aussi très cruelle. Lorsque l’on conçoit la pauvreté dans ce sens large bien des moyens peuvent êtres pris en Église pour la résorber. C’est cette pauvreté que le modèle de croissance intégrale invite à considérer et à déceler dans son milieu pour pouvoir aimer Jésus dans le pauvre.




NOTES

[2] Mat 5:3 : Heureux ceux qui ont une âme de pauvre, car le Royaume des Cieux est à eux.

[3] Cf. D. McGAVRAN , op. cit., p. 37.

[4] M. Dagras, Théologie de l’évangélisation, Paris, Desclée, 1976, p. 109.

[5] Cf. ibid., p. 109.

[6] Cf. ibid., p. 110.

[7] Cf. ibid., p. 111.

[8] J. L.Gonzalez-Balado et J.Playfoot, op. cit., p.23.