10.3 Agir en fonction du principe de subsidiarité


Dans le modèle de croissance intégrale qui vise à lutter contre les différents niveaux de pauvreté, il existe le risque, devant l’ampleur des besoins humains d’un milieu donné, de se disperser dans une multitude de tâches qui relèvent ordinairement des instances publiques : écoles, hôpitaux, etc.. L’Église a par ailleurs des fonctions propres[9] qu’elle est appelée à remplir. Alors comment agir selon les fonctions propres de l’Église sans négliger les besoins humains ? La solution se trouve dans l’application du principe de subsidiarité.


Le principe de subsidiarité est un principe d’organisation qui stipule qu’il revient à chaque degré d'autorité d'exercer toutes les attributions qui lui sont propres sans avoir besoin de recourir à une autorité de plus grande envergure. L'intervention de l'échelon supérieur dans les compétences de l'échelon subordonné ne se justifie qu'à titre supplétif ou subsidiaire, c'est-à-dire en cas de carence voire de défaillance du subordonné[10]. On parle de subsidiarité descendante (ou négative) quand on se réfère au pouvoir supérieur qui doit laisser autant d'attributions qu’il est nécessaire aux pouvoirs inférieurs ; et de subsidiarité ascendante (ou positive) quand on se réfère au pouvoir supérieur qui doit agir en suppléance des échelons inférieurs quand ils se trouvent incompétents ou dépassés. Dans les deux cas, la motivation doit être le bien commun[11]. La subsidiarité peut autant s'appliquer au sein des collectivités locales que dans les établissements publics et les entreprises privées. Car il s’agit d’un principe universel qui dépasse la simple organisation de la vie économique ou politique. Il embrasse la totalité de la vie sociale; il est un principe de droit naturel lié aux libertés individuelles et collectives qui garantit l'épanouissement de la personne.


Ainsi, l’Église locale devrait considérer qu’il revient à chaque institution civile de remplir ses responsabilités envers les pauvres et les malades selon les attributions et les compétences qui lui sont propres. L’Église a à concentrer ses actions sur des interventions qu’elle est la seule à pouvoir accomplir. Elle possède une mission spécifique qu’elle seule peut remplir et des moyens propres qu’elle seule peut mettre en œuvre en faveur des pauvres et des malades. Il est de sa responsabilité première d’accomplir sa mission spécifique sans pour autant délaisser, lorsque cela est nécessaire pour être en cohérence avec l’amour, les interventions qui reviennent en propre à d’autres organisations. Par exemple l'intervention de l’Église aux niveaux des hôpitaux, de l’éducation, etc. ne se justifie qu'à titre supplétif ou subsidiaire, c'est-à-dire en cas d’absence, de carence, voire de défaillance de la part des institutions civiles. On peut alors parler de subsidiarité descendante ou négative quand on se réfère à l’Église qui doit laisser autant d'attributions envers les pauvres et les malades qu’il est nécessaire aux institutions sociales et civiles ; et de subsidiarité ascendante ou positive quand on se réfère à l’Église qui doit agir en suppléance des institutions sociales et civiles quand celles-ci n’existent pas, se trouvent incompétentes ou dépassées. Dans les deux cas, la motivation doit être l’amour des pauvres et des malades dans le respect des compétences et des spécificités des différentes organisations qui composent la société.


Les premières traces du principe de subsidiarité remontent à Aristote. Décrivant la société comme un ensemble de groupes emboîtés les uns dans les autres (famille, village, cité), il justifie la notion d’autorité par la notion de suffisance et d'insuffisance. Le principe de subsidiarité trouve sa source autant dans une anthropologie de la dignité et de la liberté de la personne humaine, que dans la nécessité et la capacité de complémentarité des êtres humains et des groupes pour atteindre le bien commun[12]. Lorsqu’on se situe dans une perspective sociétale, il est nécessaire pour l’Église de considérer qu’elle n’a pas le monopole de l’amour et encore moins des moyens pour aider les pauvres et les malades.


Dans le dernier catéchisme de l’Église catholique on peut lire : Dieu n'a pas voulu retenir pour Lui seul l'exercice de tous les pouvoirs. Il remet à chaque créature les fonctions qu'elle est capable d'exercer, selon les capacités de sa nature propre. Ce mode de gouvernement doit être imité dans la vie sociale. Le comportement de Dieu dans le gouvernement du monde, qui témoigne de si grands égards pour la liberté humaine, devrait inspirer la sagesse de ceux qui gouvernent les communautés humaines. Ils ont à se comporter en ministres de la Providence divine[13]. C’est l’image de la sagesse divine qui permet de mieux comprendre combien il faut respecter le rôle spécifique de chaque organisation de la société.


Ce principe de sagesse permet à l’Église de se situer dans l’ensemble de la société et de définir sa mission propre. Selon son milieu et ses moyens spécifiques, elle peut encourager les initiatives qui ne sont pas les siennes et éviter de dédoubler des services sociaux qui existeraient déjà. Le principe de subsidiarité ne signifie pas la disparition d’une vision de l’Église qui s’occupe de toutes les pauvretés. Il permet plutôt de poser la question : quel sont le rôle et la responsabilité spécifiques de l’Église dans un milieu donné quand on considère les besoins existants, les organismes d’aides déjà en place et les moyens et fonctions propres qui sont les siens ? Ainsi l’Église peut se concentrer sur ses fonctions propres et proposer un salut intégral sans se disperser dans une multitude de tâches qui dépendent en premier lieu de la responsabilité des instances publiques.





NOTES

[9] Nous reviendrons plus en détail sur les fonctions propres de l’Église dans le chapitre 12.3.

[10] Cf. J.-B. D’Onorio, « La subsidiarité, analyse d’un concept », dans Joël-Benoit D’Onorio, La subsidiarité : de la théorie à la pratique, Saint-Cénéré, Éditions Téqui, 1995, pp. 12-13.

[11] Cf. ibid., p. 27.

[12] Cf. R. J. Castillo Lara, « La subsidiarité dans l’Église », dans Joël-Benoit Onorio, op. cit., p. 170.

[13] Catéchisme de l’Église Catholique, Paris, Éditions Mame, 1992, § 1884.