11.1 Accueillir et actualiser le salut par étapes


Les chrétiens ne peuvent limiter leur vie spirituelle au simple regard sur le pardon de Dieu obtenu, ni vouloir renouveler une expérience spirituelle de départ tel que cela peut se présenter dans certaines Église pentecôtistes (Ch. 8.3). L’expérience initiale de salut continue et se transforme en un chemin de sanctification. Le croyant doit accepter la condition du voyageur qui poursuit l’actualisation de son salut à différents niveaux[3]. On ne peut se dire sauvé pour demain, le travail est continuel.


Dans l’histoire, les Églises traditionnelles ont fait vivre à leurs membres un cheminement chrétien par étapes. Les étapes, qui comprenaient généralement un cours de formation hebdomadaire de quelques semaines, aboutissaient à la réception d’un sacrement (baptême, eucharistie, confirmation). Mais ces cours de préparation aux sacrements sont-ils aujourd’hui suffisants pour faire cheminer sérieusement les chrétiens ? D’autres cours ne seraient-ils pas nécessaires pour assurer la croissance intégrale des membres de la communauté chrétienne et leur implication dans la mission[4]?


Pour comprendre ce qui est entendu par cheminement par étapes et pour mieux visionner comment faire prendre ce chemin aux personnes de la communauté chrétienne, je propose de regarder l’approche des Alcooliques Anonymes (AAs) qui invite justement leurs membres à passer par une série d’étapes menant à leur libération. C’est une série d’étape similaire, adaptée aux besoins spécifiques du milieu dans lequel est greffée l’Église qui peut être envisagée dans le modèle de croissance intégrale.


La première étape des AAs a pour but de faire admettre aux membres leur impuissance devant l’alcool et la perte de contrôle de leur vie. C’est l’acceptation qu’ils ne peuvent se sauver seul, c’est s’avouer totalement vaincu : L'aveu de son impuissance est le premier pas vers la libération[5].


La deuxième étape du processus de libération chez les AAs est de croire à une Puissance supérieure qui peut rendre la raison et engager la personne qui chemine dans une relation authentique avec Dieu. La troisième étape, elle, suggère de confier sa volonté et sa vie aux soins de Dieu et de lui remettre sa volonté. Pratiquer la troisième étape, c'est déverrouiller une porte pour faire une place à Dieu dans sa vie. La dépendance vis-à-vis de Dieu et la bonne volonté sont considérées comme les voies vers l'indépendance vis-à-vis de l’alcool tout autant que l’effort personnel pour se conformer à la volonté divine.


Les étapes permettent de prendre le chemin du salut et de la transformation intérieure. La quatrième propose de faire un inventaire moral minutieux de sa vie et la cinquième d’avouer à Dieu, à soi-même et à un autre être humain la nature exacte de ses torts. Cette dernière est considérée comme difficile, mais indispensable pour obtenir la sobriété et la tranquillité de l'esprit. Il en résulte le commencement d'une relation nouvelle et authentique avec les autres et avec Dieu, la perte de l'isolement, le calme et le sentiment de la présence de Dieu.


La sixième étape invite à consentir pleinement à ce que Dieu élimine tous ses défauts de caractère. Elle permet le progrès spirituel mais c’est le début d'un travail qui dure toute la vie[6]. On voit ici encore le concept de durée dans le cheminement spirituel. Il ne s’agit pas d’être parfait du jour au lendemain ou de croire que l’on est sauvé pour le reste de sa vie. Il s’agit plutôt de prendre conscience de la différence entre la perfection et le fait de tendre vers un objectif[7]. Dans la septième étape on demande à Dieu de faire disparaître ses déficiences. Une fois encore l'humilité est la route vers la véritable liberté. L'humilité demande de mâter notre égoïsme car la force provient de la faiblesse[8].


Dans les huitième, neuvième et dixième étape, on est invité à dresser une liste de toutes Ies personnes lésées et à réparer ses torts en leur faisant une amende honorable. On apprend ou réapprend à vivre avec les autres et on chemine pour enlever les obstacles aux bonnes relations : répugnance à pardonner; refus d'avouer les torts fait aux autres, oubli volontaire, jugements radicaux, colère, ressentiment, jalousie, envie, apitoiement, humiliation, etc. La Huitième Étape est le début de la fin de l'isolement[9]. L'esprit de la neuvième étape, c’est d’être disposé à assumer les conséquences de son passé et à se rendre responsable du bien-être des autres. Par la dixième étape l'examen personnel devient une habitude régulière afin de patiemment corriger ses défauts[10].


Enfin la onzième étape invite à la prière et à la méditation pour améliorer le contact avec Dieu; on lui demande de nous révéler sa volonté et de nous donner la force de l'exécuter. Généralement, les personnes qui passent par l’ensemble des étapes font l’expérience d’un réveil spirituel. La douzième étape propose alors de transmettre le message et la méthode des AAs aux personnes qui pourraient en avoir besoin et de mettre en pratique ses principes dans les autres domaines de sa vie. La libération est considérée comme un don gratuit qu'on se dispose à recevoir par la pratique des Étapes. On reçoit un nouvel état de conscience et d'être qui permet de résoudre ses problèmes. Il est nécessaire d ‘accorder la priorité au progrès spirituel et de se placer sous la dépendance de Dieu[11].


L’expérience des AAs nous permet de mieux comprendre que pour accueillir le salut et la libération temporelle, un processus d’étapes est une forme adaptée de cheminement. Le salut intégral en Jésus-Christ peut aussi se proposer par une série d’étapes prenant la forme de rencontres ou de cours dont le contenu vise à résorber une pauvreté ou un problème particulier présent dans le milieu. Ces rencontres peuvent être basées sur une conscientisation faite à partir de la Bible, comme dans les CEBs, et répondraient par l’Évangile aux besoins des personnes. Chaque milieu ayant ses problèmes particuliers, c’est à chaque communauté de concevoir ses étapes et le contenu spécifique des rencontres. Grâce à un tel cheminement et à la croissance de ses membres, l’Église pourra lutter efficacement contre les souffrances et les pauvretés de son environnement offrant ainsi un salut intégral.



NOTES


[3] Cf. M. Dagras, op. cit., p. 115.

[4] Une série de cours est ainsi proposé dans la communauté de Rick Warren pour aider les membres à croître dans la vie chrétienne, à être fidèle à l’Église locale, à découvrir leurs dons et à s’impliquer dans la mission.

[5] Les douze étapes et les douze traditions, Montréal, Les services des publications françaises des AA du Québec, 1981, p. 5.

[6] Ibid., p. 7.

[7] Ibid., p. 7.

[8] Ibid., p. 7.

[9] Ibid., p. 7.

[10] Cf. ibid., pp. 7-8.

[11] Ibid., p. 9.