12.4 Relecture et reformulation des principes de croissance du MCE à la lumière du modèle de croissance intégrale


Qu’en est-il des conseils promulgués par le Mouvement de la croissance des Églises à la lumière du modèle de croissance intégrale ? Cette question est importante car les éléments qui composent le modèle du MCE ne sont pas tous à rejeter. Grâce à la réflexion théologique engagée et à l’élaboration du modèle de croissance intégrale, on est maintenant en mesure de faire un tri dans les éléments de départ et de choisir ce qui reste valable pour la nouvelle approche missionnaire.


12.4.1 Le modèle de croissance intégrale et les idées de McGavran


Comme le dit McGavran, on peut affirmer que la croissance de l’Église sera la conséquence de la fidélité des chrétiens à proclamer la Parole et à trouver les « brebis perdues », mais le terme trouver n’est pas enfermé dans sa dimension purement eschatologique. Il est compris comme réponse aux besoins et aux souffrances tant matérielles, psychologiques et spirituelles des personnes du milieu. La brebis perdue, c’est la personne qui souffre, qui est malade, c’est celle qui manque d’amour et d’espérance, c’est celle qui est rongée par la culpabilité, c’est le prisonnier, c’est l’enfant abusé, c’est le sidéen, ce sont les divorcés remariés qui se sentent exclus de l’Église, c’est la personne dépressive qui n’a pas sa place dans un système fait pour les gens en forme, pour les gens productifs, etc. La communauté chrétienne devra s’organiser, selon les moyens et les capacités propres de l’Église, pour lutter contre ces détresses et ne pas se limiter à proclamer la Parole et à faire accueillir un salut eschatologique. Ses activités proposeront un encadrement communautaire aux personnes qui souffrent et les inviteront à entrer dans un processus de libération et de croissance intégrale basée sur l’Évangile.


C’est la volonté de Dieu que tous les êtres humains soient aidés, aimés et sauvés. Dieu désire que les activités salvatrices de l’Église se multiplient; plus il y aura de personnes impliquées dans ces activités, plus il y en aura d’autres qui pourront être aidées et sauvées. Dans ce sens, la multiplication des membres de l’Église est bonne car elle permet la multiplication des services d’aide et de salut et un plus grand nombre de personnes sur le chemin de la libération intégrale. À l’image de Jésus qui a choisi et formé ses disciples, les responsables d’Églises formeront et engageront le plus de personnes possible pour la mission.


La dimension eschatologique du salut n’est pas oubliée. Elle est une partie importante de la mission de l’Église. Mais la notion de salut est élargie. Lorsque McGavran définit la mission comme une entreprise consacrée à la proclamation de la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ et à convaincre les hommes à devenir ses disciples et membres responsables de son Église[15], on peut être d’accord avec lui, mais comprenons la proclamation de la Bonne Nouvelle comme témoignage d’amour qui se fait tant par la parole que par les actes. La tâche prioritaire de l’Église n’est pas de concevoir seulement des actions efficaces qui permettent d’amener les hommes et les femmes à faire concrètement une profession de foi[16], mais d’en concevoir aussi qui les fassent cheminer vers l’actualisation du salut dans les différentes dimensions de leur vie et leur permettent de s’impliquer dans la mission. C’est à partir de tels critères que les Églises peuvent évaluer leurs activités.


Les principes de gestion aident à mieux accomplir la mission ecclésiale lorsqu’ils sont au service des personnes et de leur croissance, non pas au service de la croissance numérique de la communauté. Plutôt que des objectifs numériques, ce seront des objectifs qualitatifs de service et d’amour évalués par des sondages et des questionnaires dans le milieu qui aideront l’efficacité et l’amélioration des activités de l’Église. Il est recommandé de planifier la croissance intégrale de la communauté et si, par la grâce de Dieu, les membres se multiplient, on peut envisager la greffe de l’Église dans un autre milieu pour répondre à ses besoins et soulager ses pauvretés.


Pour favoriser la croissance et la libération intégrale des personnes d’un milieu donné, on accordera à l’évangélisation une place importante sans toutefois être une priorité excluant les autres fonctions de l’Église. On y fera participer les membres de la communauté chrétienne pour inviter les personnes du milieu à devenir disciples de Jésus-Christ et à participer à un processus de croissance intégrale dans la communauté chrétienne. L’ensemble des membres de la communauté chrétienne seront invités à témoigner de leur foi et les responsables les aideront en s’assurant qu’ils reçoivent, dans les cours de croissance intégrale, des informations suffisantes sur les méthodes d’évangélisation.


Le renouveau spirituel sera favorisé dans la communauté car il aboutit à une vie plus sainte et à un renforcement de la vie spirituelle. Dans ce sens, les étapes de croissance proposées comprendront une invitation à fréquenter plus assidûment les Écritures, à confesser les péchés, à réparer et à prier pour recevoir ce renouveau[17]. Un accent pourra être mis sur l’importance de l’effusion de l’Esprit qui amène ceux qui l’ont reçu, à se préoccuper de manière plus intense des besoins de leur milieu et à témoigner plus efficacement du Christ.


Dans leurs efforts d’évangélisation, les membres de la communauté chrétienne chercheront à témoigner de leur foi tant par la parole que par l’aide auprès des plus pauvres. La stratégie missionnaire consistera à découvrir les besoins les plus criants du milieu[18], à mettre sur pied des activités pour les rejoindre et à inviter les personnes potentiellement intéressées à y participer. L’invitation concernera aussi les personnes capables d’aider à lutter contre les pauvretés découvertes.


12.4.2 Les conseils pratiques des pasteurs des Églises en croissance reliées au MCE dans la perspective du modèle de croissance intégrale


Lorsque les pasteurs et les théologiens du Mouvement de la croissance des Églises parlent de ce qui freine la croissance numérique ou qui la favorise, ils se situent, parfois sans le savoir, dans une approche de gestion. Ils conseillent aux responsables de communautés de clarifier leurs objectifs, de formuler une vision et de la communiquer à l’ensemble des membres. Le modèle de croissance intégrale s’accorde bien avec une telle approche, des buts clairs permettent de savoir où l’on va et d’être plus efficace dans l’accomplissement de la mission. Mais l’objectif premier est de faire entrer les hommes et les femmes de ce monde dans la dynamique de l’Alliance. C’est de la fidélité à cette Alliance que découlera la croissance, promesse transmise de génération en génération[19]. Être fidèle à l’Alliance, c’est croire[20] et suivre les préceptes divins[21]. Pour les chrétiens, les ordonnances fondamentales de l’Alliance se fondent dans l’amour de Dieu et du prochain et dans les impératifs missionnaires des Évangiles.


La vision véhiculée par le modèle de croissance intégrale ne propose donc pas de faire de l’aspect quantitatif de l’Église un but essentiel de la mission. Ce qui est proposé est plutôt de faire de la communauté chrétienne un lieu de croissance et de formation pour les nouveaux disciples et de les impliquer dans la mission de l’Église. La mission vise à multiplier les services d’aide, d’amour et de solidarité dans le milieu. Elle vise aussi à faire connaître et accueillir le salut eschatologique aux hommes et aux femmes du milieu et à les inviter à suivre Jésus. Les nouveaux disciples sont intégrés dans une structure de petits groupes pour bénéficier des services de la communauté. Après un certain cheminement, ils deviennent eux-mêmes, selon leurs dons, des membres actifs à l’intérieur et à l’extérieur de la communauté chrétienne. Ils sont incorporés aux services de l’Église pour lutter contre les formes de désespoir, de solitude, de pauvreté et de souffrance du milieu. Ils sont donc formés pour devenir des témoins efficaces de l’amour de Dieu par toute leur vie. Tel est le but premier du modèle de croissance intégrale.


Faire connaître l’amour de Dieu en Jésus-Christ est un but essentiel mais cet amour se fait connaître tant par les œuvres que par l’annonce de la Parole. La foi en Jésus et la reconnaissance envers son œuvre de salut est le moteur de l’action communautaire. Jésus est la source du salut et du cheminement d’actualisation qui est proposé. Des activités concrètes pourront êtres proposées afin de faire grandir la foi de la communauté par la lecture de la Bible, des séminaires dans l’Esprit, des retraites, etc.. La foi permet aux membres de mettre leur confiance en Dieu, elle anime l’Église et lui donne la conviction qu’avec la grâce de Dieu elle peut répondre aux besoins spirituels et humains de son milieu. Une place importante devrait donc être accordée non seulement à la fonction prophétique mais aussi à la fonction cultuelle pour appuyer, dynamiser l’effort missionnaire et rendre gloire à Dieu. Les activités liturgiques offriront des services de guérison et de libération pour les personnes qui pourraient en avoir besoin, et dans ce sens, une approche à caractère charismatique peut être envisagée.


Dans le modèle de croissance intégrale, la communauté chrétienne est essentiellement missionnaire, mais cette mission est autant tournée à l’intérieur de la communauté (ad intra) qu’à l’extérieur (ad extra). En effet, les besoins y sont présents partout et ce n’est pas parce qu’une personne est en cheminement qu’elle n’a plus de problèmes, ce n’est pas parce qu’un pasteur dirige une communauté qu’il n’a pas besoin de soutien et de ressourcement. La mission comprend plusieurs niveaux, celui de l’évangélisation, celui de la croissance des nouveaux disciples, celui de l’implication des membres dans les activités de l’Église correspondant à chacune de ses fonctions : socioculturelle, hodégétique, prophétique, cultuelle, et celui de l’évaluation des activités de l’Église selon la qualité et l’excellence en vue de l’amélioration continue. L’amour dans le service est la qualité première recherchée dans les activités offertes. Sans lui, l’Église ne serait qu’une machine sans âme qui a oublié la source qui la fait vivre et qu’elle a à transmettre. Les services sont adaptés à la culture du lieu et visent à répondre aux besoins du milieu et à satisfaire les bénéficiaires.


Il n’y a donc pas une priorité absolue à l’évangélisation mais une dynamique de salut et de croissance dont l’évangélisation est la première étape. La communauté aura avantage à bien connaître son milieu ainsi que ses forces et faiblesses afin de formuler des objectifs réalistes et adaptés. Si elle accepte les changements socioculturels de son environnement, elle évitera de perdre contact avec son entourage. Ses activités pourront être adaptées et mieux rejoindre les besoins existants. C’est aussi une bonne connaissance des méthodes d’évangélisation[22] qui lui permettra d’aller efficacement à la rencontre des personnes de son milieu.


Le rôle des responsables de communauté est de communiquer la vision (Ch. 2.2 et 5.4) et de motiver les membres à la réaliser. Ils communiquent enthousiasme et amour pour Jésus[23]. Ils ne mettent pas les membres de l’Église à leur service mais ils se mettent à leur service pour les aider à actualiser leur salut et à accueillir les bénédictions de Dieu dans tous les domaines de leur vie. Comme dans toute organisation, certains conflits seront inévitables, mais les responsables ne peuvent pas chercher à plaire à tout le monde au risque de paralyser la communauté dans l’accomplissement de la vision. Il est recommandé que leur mandat pastoral soit suffisamment long pour que leurs efforts portent du fruit.


Le rôle des responsables de communauté est aussi de déléguer leurs responsabilités et de s’assurer de la formation des membres afin que ceux-ci exercent un leadership pastoral et missionnaire. Les responsables motivent les laïcs et leur confient l’autorité nécessaire pour remplir leurs fonctions. En fait, c’est le plus grand nombre de personnes possible à qui il faudrait assurer une formation et responsabiliser car l'implication est un facteur d’actualisation et de croissance. Un processus de discernement dans la communauté permettra de repérer les dons et les intérêts des membres afin qu’ils puissent les exercer et les mettre au service de Dieu. Les accomplissements et les efforts des personnes impliquées auront avantage à être reconnus devant la communauté et si possible récompensés.


Un autre but important du modèle de croissance intégrale est de multiplier les groupes de maison où l’amour fraternel et le soutien individuel est possible et où les ministères des membres peuvent s’exercer. Ces groupes seront homogènes c’est-à-dire se rassemblant par affinité, par intérêt ou par tâches. On y réfléchira à comment mieux actualiser la Bible dans la vie quotidienne. Ces groupes de maison peuvent rejoindre un besoin particulier dans la communauté ou dans le milieu : soutien aux alcooliques, parents monoparentaux, etc., d’autres groupes pouvant être plus spécifiquement consacrés à la tâche d’évangélisation et d’enseignement catéchétique. Ils ne sont pas dirigés par des objectifs numériques mais avec des objectifs de qualité pour toujours mieux accomplir leur tâche. Tous les membres sont invités à y participer, la présence dans les groupes n’est pas présentée comme une simple option dans la vie chrétienne, mais comme un moyen efficace pour poursuivre un même but.


Adapter les activités cultuelles : musique-chant, au milieu socioculturel, à sa manière de communiquer, à son langage, à ses goûts, est un objectif majeur du modèle de croissance intégrale. Le but des célébrations est d’édifier ceux qui participent, de leur faire vivre une expérience de joie et d‘allégresse qui les fortifie dans l’amour et la confiance en Dieu. Elles sont l’expression d’une foi vive où les membres de la communauté sont fiers d’inviter leurs amis et leurs proches car ils savent qu’ils auront envie d’y revenir.


Cent pour cent des membres de la communauté chrétienne ne pourront peut être pas exercer une responsabilité dans la communauté mais tous peuvent être encouragés et formés à témoigner de leur foi dans leur milieu de vie et à inviter de nouvelles personnes aux célébrations et aux groupes de maison. Les membres de la communauté seront plus aptes à accomplir une telle mission si on leur offre des cours sur les différentes techniques d’évangélisation. Les personnes qui viennent pour une première fois, ou depuis peu, seront soutenues dans leur cheminement et éclairées dans leurs recherches si elles sont parrainées par des membres de la communauté et impliquées rapidement dans des groupes de maison. Ainsi, on leur donne la chance de vivre la communion fraternelle et d’être plus souvent en contact avec l’Évangile. Ensuite, il sera judicieux de leur proposer un cours destiné à leur apprendre ou réapprendre les bases de la vie chrétienne et à s’assurer qu’elles ont accepté le salut en Jésus. D’autres cours pourront suivre pour découvrir leurs dons et les tâches qui les intéressent. Un geste liturgique pour sceller une alliance avec le Christ et l’Église locale peut aussi être envisagé.


Pour la mise sur pied du modèle de croissance intégrale, les responsables devront s’assurer d’avoir les espaces nécessaires, que ce soit pour les célébrations, pour les stationnements, etc., et les budgets suffisants pour réaliser les objectifs. Ceux-ci auront avantage à être planifiés et mesurables, sur un an, cinq ans et dix ans. On évitera les activités à caractère social efficacement réalisées par d’autres organismes du milieu, sauf si les besoins ne sont pas comblés. La vision sera présentée à l’ensemble de la communauté sans peur de demander de l’aide financière. Idéalement la communauté s’autofinancera.



NOTES

[15] D. McGAVRAN , op. cit., p. 26.

[16] Cf. ibid., p. 36.

[17] Cf. ibid., p. 188.

[18] Cf. ibid., p. 262.

[19] Gen 17:2 : J'établirai mon alliance entre moi et toi, et je te multiplierai à l'infini

[20] Gn 15:6 : Abram crut en Yahvé, qui le lui compta comme justice

[21] Gen 18:18 : Car je l'ai distingué, pour qu'il prescrive à ses fils et à sa maison après lui de garder la voie de Yahvé en accomplissant la justice et le droit; de la sorte, Yahvé réalisera pour Abraham ce qu'il lui a promis

[22] Savoir comment accueillir chaleureusement les nouveaux sans les mettre mal à l’aise; exercer une évangélisation par les relations existantes; cibler la partie de la population environnante qui peut être le plus intéressé par le genre de services offerts; appeler au salut, à un acte de foi, faire poser un geste de conversion; faire faire aux personnes en cheminement une alliance (commitment) avec l’Église locale; impliquer rapidement les personnes nouvellement arrivées, etc.

[23] Jn14:15-16 : Si vous m'aimez, vous garderez mes commandements ; et je prierai le Père et il vous donnera un autre Paraclet, pour qu'il soit avec vous à jamais…

[24] Comité de recherche de l’assemblée des Évêques du Québec sur les communautés chrétiennes locales, Risquer l’avenir : Bilan d’enquête et prospectives, Montréal, Éditions Fides, 1992, p. 125.