13.1 Élaborer une vision spécifique selon le milieu


Le modèle de croissance intégrale est en soi une vision ecclésiale mais celle-ci ne peut prendre vie que dans une terre particulière; c’est pourquoi les responsables de communauté élaboreront une vision spécifique en fonction du milieu qui est le leur. Une vision est une image projetée dans le futur de la place et du rôle qu'on veut voir occupé par sa communauté dans son milieu ainsi que l'image projetée du type d'organisation dont on a besoin pour y parvenir. C’est un rêve réaliste et réalisable[1].


Le pasteur Dale Galloway compare la vision à la foi. Il la définit comme la capacité de voir les choses alors qu’elles n’ont pas encore été réalisées[2]. On est proche de la définition proposée dans l’Épître aux Hébreux (11:1) : Or la foi est la garantie des biens que l'on espère, la preuve des réalités qu'on ne voit pas. Élaborer une vision est important, car elle permet à la communauté, dans un milieu particulier, de savoir dans quelle direction elle va. Les leaders des quinze plus grandes Églises aux États-Unis ont une chose en commun : They were all persons of visions and dreams[3]: Tell me your vision and I will tell you your future[4].


D'une certaine façon, elle (la vision) agit un peu comme le phare qui, de loin, guide un bateau vers le port recherché en indiquant à son capitaine et aux autres membres de l'équipage la direction à suivre[5].


Pour mettre en place le modèle de croissance intégrale, les responsables doivent donc s'atteler à définir une vision pour la communauté en fonction de leur environnement. Mais comme il n'y a pas de leadership sans adhésion aux dirigeants[6], il est préférable d’élaborer la vision avec les autres membres et le cas échéant, s’ils ne peuvent le faire, de s’assurer qu’ils l’acceptent pleinement. Cette vision est dite émergente dans le sens où elle provient d’une idée de service ecclésial qu'on veut lancer et proposer aux gens du milieu pour répondre à leurs besoins. Elle est dite centrale, si elle est l’aboutissement d'une ou de plusieurs visions provenant des responsables et de la communauté tout entière. La vision centrale comprend deux composantes : externe (la place et le rôle qu'on veut voir occupés par sa communauté dans son milieu) et interne (le type d'organisation dont on a besoin pour y parvenir). À cela faut-il ajouter les visions complémentaires qui sont des actions ecclésiales définies pour soutenir la réalisation de la vision centrale[7].


Il serait difficile d’affirmer que les responsables de la communauté puissent avoir une vision absolument claire de leur futur, c'est-à-dire qu’ils sachent ce que sera leur communauté dans dix ou quinze ans. Mais l’idée de service ecclésial que l’on veut créer, la place et le rôle qu'on veut voir occupés par sa communauté dans son milieu et le type d'organisation dont on a besoin pour y parvenir constituent les éléments pivots de la mise en place du modèle. De là, la communauté progressera dans la mesure où elle saura être méthodique et se concentrer sur la vision.


Puisque la vision est une image projetée d'un état futur désiré, un rêve réaliste et réalisable, elle ne sera réaliste que si les responsables approfondissent leur connaissance du milieu et des personnes qui l’habitent. Il est difficile de visionner des services qui sont censés répondre aux besoins du milieu si on n’a pas de contacts avec les personnes qui ne viennent pas à l’église et si l’on ne connaît pas les différents services rendus par les intervenants du secteur concerné. Cette étape peut parfois prendre du temps, mais elle permet d’offrir des services ecclésiaux adaptés aux aspirations, aux souffrances et aux détresses du milieu. L’innovation dans les services est une manière de pratiquer l’Évangile. L’amour des autres invite à s’ingénier pour trouver les meilleurs moyens d’aider les personnes du milieu et de soulager leurs détresses.


S'intéresser au milieu, l'étudier, le creuser pour essayer de le comprendre n’est pas d’abord une question de marketing ou de planification stratégique, mais une question de prendre les moyens de mieux réaliser la mission qui a été confiée à l’Église par son fondateur. Ce fut la démarche première du pasteur Rick Warren lorsqu’il commença son ministère dans un milieu qui lui était étranger. Il y avait déjà un certain nombre de grandes Églises mais il sut innover, proposer des services adaptés aux attentes, aux aspirations, aux besoins humains et spirituels de son milieu et ainsi rejoindre des personnes qui ne fréquentaient pas les Églises déjà en place. Il parla avec la population, fit des sondages et sut contourner les objections majeures de ceux et celles qui avaient des griefs contre l’Église.


Comment les responsables peuvent-ils élaborer une vision spécifique pour leur milieu ? C’est en approfondissant la connaissance de leur environnement et en repérant les changements qui y sont survenus (et ceux qui pourraient survenir) pour s’y adapter et préparer des plans pour le futur[8]. Il s’agit de ne pas seulement compter sur sa propre intuition ou sur son expérience personnelle mais aussi sur une observation systématique et objective du milieu afin de mieux rejoindre ses besoins. Le but étant de trouver des actions conduisant au développement intégral des personnes habitant dans le cercle d’influence de l’Église.


C’est aussi par l’expérience d’autres pasteurs et de la communion avec l’Esprit Saint dans la prière que la vision se précisera. Dale Galloway estime que Dieu veut nous communiquer une vision par la foi[9]. La prière et l’ouverture à d’autres expériences vécues ailleurs ont donc un rôle important à jouer. La vision est le fruit d’un effort de visualisation : La vision vient de notre capacité à visualiser les éléments de notre foi[10]. C’est la prière qui donne à la communauté de bien saisir la vision que Dieu veut lui donner[11]. C’est pourquoi, parmi les premières activités à planifier sont celles qui favorisent l’écoute du Saint-Esprit dans la prière. Même si la communauté était parfaitement organisée pour étudier le milieu afin de répondre aux détresses qui s’y trouvent, s’il lui manque la prière, elle risque de passer à côté de la vision précise que Dieu veut lui communiquer. La prière est la puissance derrière les principes (The Power Behind the Principles[12]) :


Plus j’approfondis les principes de croissance, plus je suis convaincu que la vraie bataille est spirituelle et que notre arme principale est la prière[13].


Pour la mise en place du modèle de croissance intégrale, la vision précède la planification et en fournit les lignes directrices. C’est à partir de la vision que s’organise la communauté, c’est elle qui fait germer un plan dans l’esprit des responsables. Le plan peut être sans références écrites, au moins au début. On vise un but, un objectif, on le visualise, on prie pour être accordé à la volonté de Dieu puis on s'ajuste au fur et à mesure[14]. En faisant un retour sur sa propre expérience, Rick Warren constatait, en dépit de l’importance qu’il accorde à la planification et aux buts à atteindre, qu’il s’ajustait au fur et à mesure : I’m making it up as we go along[15].


En conclusion de cette partie sur la vision, on soulignera que les responsables de communauté désirant développer une vision auront avantage à établir une démarche rigoureuse de mise en place de leur processus visionnaire[16]. Il s’agit de ne pas oublier que la vision n'est pas qu'un rêve; c'est un rêve réaliste qui devrait être basé sur une démarche cohérente[17]. Elle va de l’observation d’un milieu, de la connaissance d’autres expériences d’Églises et de la prière, à la mise en place d'une organisation ecclésiale qui est en mesure de rejoindre les besoins des gens et de faire croître intégralement la communauté chrétienne. C'est du souci de rejoindre les aspirations et les détresses des personnes, de correspondre à leurs goûts et à leurs attentes, que la vision émerge.[18]. Grâce à la vision, la communauté chrétienne réussira à communiquer de manière efficace et adaptée, l’amour de Dieu par ses œuvres et la Parole.



NOTES

[1] M. COTÉ (et se collaborateurs), La gestion stratégique d’entreprise : Aspects théoriques 2ème édition, Montréal, Gaëtan Morin éditeur, 1995, p. 105.

[2] D. GALLOWAY, op. cit., p.29 (notre traduction).

[3] Ibid., p.27.

[4] Ibid., p.32.

[5] M. COTÉ, op. cit., p. 38.

[6] Cf. ibid., p. 103.

[7] Cette partie sur les trois différents niveaux de la vision appliquée à l’Église paroissiale s’inspire de L.-J. Filion, Vision et relations : Clefs du succès de l’entrepreneur (Montréal, Éditions de l’entrepreneur, 1991).

[8] La planification est un des éléments dont parle McGavran et qu’il considère comme essentiel à la fonction des responsables d’Églises paroissiales (Chap. 1.4).

[9] D. GALLOWAY, op. cit., p.31.

[10] Ibid., p.30.

[11] Cf. T. Rainer, op. cit., p. 178.

[12] Tel est le titre d’un chapitre du livre de Thom S. Rainer The Book of Church Growth, History, Theology and principles, dans lequel il explique les raisons de la croissance des Églises. Yonggi Cho est aussi un des pasteurs qui insiste le plus sur l’importance de la prière. Il faut prier en visionnant ses objectifs, dit-il. Il a d’ailleurs écrit sur le sujet un livre controversé dans les milieux évangéliques : La quatrième dimension, (Éditions Vida, Deerfield, 1985).

[13] P. Wagner, Church Planting for a Greater Harvest, p. 46 (notre traduction).

[14] En termes de gestion on dira qu’on se situe dans une stratégie visionnaire et une stratégie de l’apprentissage. Il y a une vision de départ mais on fonctionne avec des stratégies émergentes et on avance de manière incrémentale.

[15] R. Warren, op. cit., p. 28.

[16] Cf. M. COTÉ, op. cit., p. 108.

[17] Ibid., p. 108.

[18] Dans la poursuite de sa mission, l’apôtre Paul, pendant la nuit, avait eu une vision : un Macédonien était là, debout, qui lui adressait cette prière: " Passe en Macédoine, viens à notre secours ! " (Ac 16:9) Voyant le besoin, la détresse, présent en Macédoine, il chercha à s’y rendre persuadé que Dieu l’appelait à y porter la Bonne Nouvelle (Cf. Ac 16:10).