14.1 Certains éléments du contexte québécois qui peuvent influencer le modèle


Ce qui suit n’a pas la prétention d'offrir une présentation exhaustive, des traits culturels de la société québécoise actuelle. On y dégage plutôt quelques caractéristiques pouvant conditionner la mise en place et l’application du modèle. La culture québécoise est variée et il serait bien difficile de tout classifier dans des catégories bien précises : Le Québec est, dans une certaine mesure, composé de mondes différents et de sous-cultures[1]. Cependant certaines de ses composantes peuvent être identifiées, que ce soit le pluralisme ethnique, la révolution médiatique en cours, la confusion au niveau des croyances, une culture issue du catholicisme et de la lutte pour l’ « identité québécoise », une culture démocratique et individualiste ayant comme particularité une valorisation importante du sujet et de l’expérience.

14.1.1 Déluge d’information et pluralisme

Au Québec comme dans la plupart des pays industrialisés, nous sommes en présence d’un bouleversement médiatique qui s’intensifie avec la révolution Internet. Cette technologie change de manière radicale non seulement le rapport au savoir, mais aussi la conception même de communauté. Chaque personne créée, choisit sa communauté sociale par les personnes avec qui elle est en relation. À cause de ce choix qu’il permet, Internet constitue un des éléments qui actuellement transforme le plus l'environnement culturel et communautaire dans lequel évoluent les Québécois et les Québécoises.


Le volume d’information et la capacité de communication produits par ce nouveau média sont tels qu'ils ne sont limités que par la capacité d'absorption des utilisateurs. Mais la conséquence est un isolement encore plus grand des individus au niveau local. Déjà la télévision avait diminué les échanges entre les personnes d’un même lieu : famille, voisinage, quartier. Et la prolifération des grands centres commerciaux, même dans les petites villes, a réduit les échanges dans les quartiers. Le paysage des communications entre les personnes est bouleversé et l’existence des églises, dans certains endroits qui ne sont plus des lieux de rencontre naturels, devient soit une aberration soit une planche de salut. Aberration si l’on souhaite que l’Église soit présente et visible là où les gens se réunissent naturellement[2], planche de salut si l’Église se donne pour objectif d’être une oasis communautaire et relationnelle dans un désert.


Il faut tenir compte de cette évolution dans les habitudes communicationnelles et relationnelles des Québécois et des Québécoises dans le modèle de croissance intégrale. En effet, dans celui-ci, la diffusion de l’information est essentielle. Créer un site Internet pour diffuser les informations servirait les membres de l’Église pour qu’ils puissent prendre des initiatives; il servirait aussi à faire connaître les services offerts par l’Église. Des discussions « en ligne »[3]peuvent être imaginées pour que les membres communiquent entre eux. Il n’y alors plus de distance physique entre les membres. Mais à cause de la pauvreté humaine des communications virtuelles, l’Église dans un lieu physique et particulièrement les groupes de maison, a encore l’avantage d’offrir de vraies relations humaines, des relations ou l’autre est là en chair et en os. La communication y a une dimension plus intégrale que la communication virtuelle même si l’on utilise une Webcam[4] et d’un système retransmettant la voix.


Le contexte québécois en est un d’indécision et de choix en matière de croyance. La multiplicité des options offre une multitude de « chemins de saluts » dans un hypermarché d’opinions et d’idées. Les personnes peuvent et veulent choisir pour elles-mêmes leurs normes de conduite et leurs croyances. Mais cette surabondance d'informations religieuses et de possibilités peut avoir un effet de désarroi[5] et provoquer une nostalgie de l’homogénéité religieuse et morale du passé. Les affiliations religieuses traditionnelles demeurent relativement stables[6] et beaucoup se disent catholiques même s’ils n’assistent pas ou presque pas aux offices religieux.


Dans une telle situation, le modèle de croissance intégrale trouve sa place, car les cours qu’il propose à ceux et celles qui veulent commencer ou recommencer un cheminement de foi, restent basés sur l’enseignement traditionnel[7] de l’Église. Le contexte invite ceux et celles qui donnent ces cours à mettre les participants en contact avec les éléments de l'initiation chrétienne qui étaient, il y a encore peu de temps, réservés à la période de l'enfance, tout au moins dans les Églises catholiques. Les cours auront avantage à s'appuyer sur certains acquis de l'enfance de manière à les fonder plus solidement et à les conduire à leur maturité. Leur contenu devra idéalement s’adapter aux adultes auxquels on s'adresse, tantôt comme initiation évangélisatrice, tantôt comme formation ou comme approfondissement d’une formation initiale déjà reçue.


Le modèle aura à tenir compte des personnes de « type » indifférent, hésitant ou qui retardent à s'engager sur le plan de la foi. Si elles sont ouvertes à certaines propositions religieuses, elles se montrent sélectives et refusent les systèmes absolus. Elles sont réticentes face à un militantisme religieux trop fervent et se montrent réservées par rapport à l’embrigadement institutionnel[8]. Elles préfèrent l'appartenance partielle, ce qui a des conséquences sur l’application du modèle de croissance intégrale. Il s’agira d’être plus patient face à certaines personnes et de discerner celles à qui l’on ne doit pas demander trop d’engagement.


On aménagera un processus de cheminement permettant un engagement progressif sur le plan de la foi et de l'engagement ecclésial. L'Église doit être en mesure d'accueillir des personnes plus réticentes et leur offrir des cheminements qui diffèrent de ceux destinés aux gens qui veulent s'engager plus intensément dans la formation en vue de l’implication dans la communauté. Les premiers cours, pour elles, peuvent prendre la forme d’espaces d'accueil et de rencontre[9] aussi bien sur le plan de la célébration, de l'interrogation et de la réflexion éthique que sur le plan du sens de l'existence et de l'engagement à la suite du Christ.


Aujourd’hui, au Québec, ce sont les informations médiatisées et non les savoirs communiqués par l’Église (ou les Églises) qui forment la base des connaissances religieuses des individus. On a affaire à un mode d'accès individuel à la connaissance[10] qui ne garantit pas une entrée et une compréhension ordonnée des éléments de la tradition chrétienne. Les individus seront mis en présence d'une diversité de sources d'information et à une grande variété de contenus[11].


Les cours du modèle de croissance intégrale pourront, avant d’annoncer le Kérygme et de continuer sur un parcours catéchétique, partir de ce qui a intéressé et interpellé les personnes présentes, que ce soit une lecture sur les templiers ou l'apocalypse, des informations recueillies sur Internet ou à l'occasion d'une exposition, d’une prédication d’un preacher américain à la télévision, d’un reportage télévisé sur Mère Térésa ou une autre figure ecclésiale connue, d'un film sur Jésus, etc.. En repérant le biais par lequel les participants se sont sentis interpellés par la tradition chrétienne, les personnes qui donnent les cours pourront mieux discerner quels sont les acquis et les points à approfondir dans le futur.


Par ailleurs, de nombreux Québécois et Québécoises assistent encore de manière ponctuelle à des célébrations liturgiques au moment d'un passage important de leur vie : baptême, funérailles, mariage, etc., et à des célébrations en lien avec les fêtes de Noël et de Pâques. Nous recommandons donc que les animateurs et animatrices des cours repèrent les interrogations des participants face aux bribes d’enseignement reçues et leur offrent un axe référentiel capable de fédérer les informations éclatées et de les organiser autour de l'essentiel du message chrétien.


Dans une société où, par l’influence des médias, on se sert des émotions et des images pour transmettre un contenu conceptuel, où l’on privilégie une approche de la réalité basée sur l'instantané et les flashes, où l’on valorise la dimension spectaculaire et sensationnelle d'un événement et où l’on élabore un savoir en lien avec l’intérêt du moment, le modèle de croissance intégrale devra tenir compte de ces éléments contextuels qui habituent les personnes du milieu à cette forme de communication. En l’absence de certaines techniques similaires de communication, le message chrétien sera peut-être moins efficacement transmis. Des efforts seront donc nécessaires à ce niveau pour offrir des enseignements qui se servent des médias modernes, qui soient reliés aux besoins et aux intérêts des personnes, tout en offrant, comme il a été dit plus haut, un axe référentiel permettant d’ordonner les informations. Cet axe sera élaboré par l’Église elle-même afin de donner corps et logique à la présentation du message chrétien.


Le Québec est aujourd'hui pluriculturel. Différents systèmes culturels, différentes croyances et différents comportements s'y côtoient et les personnes sont de plus en plus mobiles. Il y a de nombreux groupes religieux dont certains sont réellement en compétition les uns avec les autres. À cause des mélanges d’informations et de croyances, l'identité du croyant se retrouve souvent plus ou moins éclatée. Mais ce pluralisme peut être considéré comme une chance car il rend possible la libre confession religieuse, invite à un cheminement personnel et fait grandir, chez un nombre croissant de personnes, le désir d’avoir un cadre cohérent qui donne plus d’unité à l’information déjà acquise. Les cours donnés dans le modèle de croissance intégrale répondent ainsi à ces besoins actuels.


Le pluralisme permet à l'Église de retrouver en partie sa fonction de guide et de référence dans un monde où tout est confus. Bien qu’elle ne puisse prétendre avoir le monopole de la vérité, elle peut faire figure, par son expérience (2000 ans d’existence) de point de repère dans un monde de consommation ou tout est « jetable » et éphémère. Mais le pluralisme ambiant au Québec oblige le modèle de croissance intégrale à ne pas s’enfermer sur lui-même, sur des codes qu’il pourrait acquérir avec le temps, sur ses « solutions », sur ses discours, pour être en constant dialogue avec le monde qui l’entoure et rester en relation avec un monde qui change. Il est nécessaire de rencontrer l'autre sur son propre terrain[12] et de savoir fréquemment réviser le processus pastoral et missionnaire qui incorpore à la communauté chrétienne.

14.1.2 Culture du sujet, culture démocratique et culture de l’expérience

La revalorisation du sujet constitue un trait caractéristique de notre culture. (…) L'émergence du sujet est une des caractéristiques principales de la modernité[13]. La revalorisation du sujet, comme phénomène culturel, a des conséquences sur le plan de la communication de la foi. Il faut considérer les fidèles comme de véritables acteurs. Ils ne sont pas simplement des récepteurs enregistrant un message écouté. Dans le modèle de croissance intégrale, il est recommandé que les personnes en cheminement ne soient pas assujetties à un enseignement à caractère trop dogmatique qu’ils seraient tenus d’accepter sans participer. Mieux vaut les aider à interpréter leur existence à la lumière de la Révélation, comme cela se fait entre autres dans les CEBs, à travers une approche libre et dialogale. Les acteurs seront encouragés à prendre la parole pour se situer face à la tradition chrétienne ou, du moins, face à ce qu’elle est pour eux à ce moment-là.


Les Québécois et les Québécoises désirent de plus en plus êtres autonomes, consultés, entendus et réclament le droit de participer et de décider. Et c’est dans cette ligne qu’est construit le modèle de croissance intégrale qui souhaite ouvrir les portes de l’Église à la participation de l’ensemble des membres de la communauté.


C’est aussi l'esprit démocratique, jusque dans l’Église, qui marque profondément la culture du Québec : La vie démocratique favorise l'initiative de l'individu et tend à l'affranchir des logiques dominatrices des institutions, des appareils et des systèmes[14].


Cette approche peut avoir un côté très évangélique, pour éviter aux modèles d’Église en place, quels qu’ils soient, d’imposer une façon de faire sans la consultation et le consentement de la communauté. S’il y a certains éléments dans l’Église qui ne peuvent être gérés par une approche démocratique, il n’en reste pas moins que de nombreuses actions missionnaires et pastorales peuvent être décidées en commun.


L’esprit démocratique invite aussi les membres de la communauté chrétienne à plonger dans les débats et les discussions publiques de leur milieu. Le sujet de Dieu se retrouve souvent sur la place publique et les chrétiens sont invités à le présenter comme un élément vital qui rejoint les questions que les gens portent effectivement dans leur vie quotidienne[15].


Il faut poser explicitement la question de Dieu et de son salut à partir des différents terrains séculiers, des réalités économiques et sociales, car la foi ne se vit pas dans un domaine séparé de la vie et ne s'enferme pas dans l'enceinte des temples. Elle doit être publique et reliée aux différents aspects de l'existence[16].


Le monde contemporain est dans une période de quête spirituelle. Du matérialisme moderne surgit de nouvelles voies spirituelles, éthiques, et des ressaisies diversement modulées des richesses (des) patrimoines historiques culturels et religieux[17] :


Depuis le début des années 1980—qui l'eût cru?—l'intérêt spirituel n'a fait que croître chez un bon nombre de gens d'ici Cette effervescence étonne après le rejet de l'héritage religieux de la chrétienté et après une période de sécularisation qui avait rapatrié les objectifs ultimes de vie dans le bonheur ici-bas, les biens matériels d'une certaine prospérité, la libéralisation des mœurs, les promesses de progrès sans limite véhiculées par des idéologies séculières: libéralisme économique, socialisme, néo-nationalisme laïque[18].


Deux attitudes peuvent toutefois être identifiées, la méfiance justifiée d’un retour à une religion austère et culpabilisante à caractère janséniste ou marquée de fondamentalisme et, paradoxalement, à l’opposé l’engouement aveugle pour des mouvements à caractère sectaire qui prétendent avoir la solution à tous les problèmes. L'Église sera plus crédible si elle entre en dialogue avec cette recherche de Dieu et ne propose pas des modèles dépassés. Il s’agit pour elle de vivre et de s’adapter au milieu dans lequel elle est greffée. C’est bien le but du modèle de croissance intégrale d’arriver à annoncer l'Évangile en paroles et en actes selon les besoins et les modes de communication propres du milieu. Se revivrait alors à la fois le miracle de la Pentecôte qui permit à toutes les nations d’entendre l'Évangile dans leur propre langue et celui de la première communauté chrétienne où les membres recevait selon les besoins de chacun (Ac 2:47).


Les convictions intimes des personnes d’aujourd’hui s'enracinent dans l'expérience. Quelque chose est vrai dans la mesure où l’on en fait l'expérience personnelle. C’est un des aspects du mouvement charismatique qui fait de l’expérience de l’Esprit, et de la relation personnelle avec Jésus-Christ, la base de la vie chrétienne. Dans un tel contexte, l’aspect doctrinal de la religion n’est pas significatif, il peut même répugner, étant considéré par beaucoup comme une barrière confessionnelle, un signe d’intolérance et de division : L'expérience spirituelle est souvent posée comme une nouvelle liberté intérieure, une libération d'une religion de formules, de rites, de dogmes, de prescriptions, de pratiques extérieures. Il y a là une première réappropriation personnelle[19].


La notion d’expérience se retrouve dans l’ensemble des étapes de la vie avec ses temps forts, ses événements importants, ses tournants, ses passages, ses épreuves, ses dépassements. Elle est un « spirituel incarné », dans ses diverses dimensions de la vie[20].


Le modèle de croissance intégrale aura avantage à tenir compte de cet aspect contextuel dans lequel l'expérience a plus de poids et plus d'autorité que ce qui se propose de manière théorique[21].


L’enseignement traditionnel ne représente plus un ensemble de réponses intemporelles et il sera sévèrement critiqué avant d'être éventuellement assumé par l’individu. Mais il a quand même l’avantage d’être passé par l’épreuve du temps et c’est ce qui fait sa force et son attrait dans notre monde rempli de différentes vérités et croyances qui changent avec les modes et les saisons. Présenté de manière à mettre les personnes en dialogue avec les témoins du passé et du présent, ceux qui ont pu vivre et qui vivent des situations similaires à celles des personnes en cheminement, l’enseignement dans les groupes de maison permettra de ne pas fournir une simple série de dogmes ou de réponses préfabriquées, mais d’ouvrir à d'autres expériences de foi qui peuvent servir d’exemple.


La tradition exprime ce qu'ont confessé des croyants aux prises avec des situations existentielles parfois dramatiques et quelquefois limites qui ressemblent à nos quêtes contemporaines, nos recherches et nos questionnements[22].


Ainsi proposée, ainsi comprise, la tradition permet au sujet de se décentrer de lui-même et d'entrer dans un dialogue fécond avec d'autres points de vue[23] qui éclairent sa propre expérience sur laquelle il veut bâtir ses propres convictions.

14.1.3 Pluralisme et culture mondiale

Difficile de désormais rêver d’une société « pure laine » constituée de Québécois et Québécoises de souche. Le nombre grandissant d'immigrants de toutes races et de toutes nationalités continuera de mettre à mal l'homogénéité du passé. Plus de quarante mille enfants multiethniques peuplent les écoles de Montréal et, dans une école sur six, ceux-ci sont majoritaires par rapport au Québécois et Québécoises de souche[24]. C'est là une donnée des plus significative pour l’avenir du Québec qui interpelle fortement la manière dont il faut aborder la mission ecclésiale.


Lorsque je demandais à Claude Houde, pasteur de l’Église en croissance numérique à Longueuil, les éléments culturels dont il fallait tenir compte dans l’évangélisation dans son milieu, il me parla du pluralisme. Pour lui, il est presque impossible de trouver une homogénéité sociale et culturelle permettant de dresser un portrait type des habitants de son milieu. Dans un tel contexte, il n’est pas facile de configurer son Église pour rejoindre un type particulier de personnes. Le modèle de croissance intégrale par lequel on souhaite justement cette adaptation au milieu socio-culturel aura à tenir compte d’une telle diversité. Peut-être faut-il penser à constituer différentes sortes de liturgies en fonction des groupes auxquels on s’adresse ?


Si dans le passé les Québécois et les Québécoises ont conservé une homogénéité culturelle c’est parce que leur identité s’est forgée autour d’une lutte commune : celle visant à protéger leur langue et leur spécificité religieuse. Ils furent protégés contre les influences étrangères par le réseau d'institutions sociales : paroisses, écoles, familles. L’homogénéité et la continuité culturelle furent facilitées par la propagation de valeurs catholiques centrées sur une image de peuple choisi, fort et courageux, promis à une grande destinée en terre d'Amérique. Mais la révolution industrielle, la remise en question des traditions et de l’influence religieuse, les nouvelles technologies, la mobilité géographique accrue, la pénétration massive des communications de masse véhiculant des valeurs et des coutumes différentes, I'impact de l'impérialisme culturel anglo-saxon, l’arrivée de nombreux immigrants ont fait éclater les structures et projeté les Québécois francophones dans un processus d' « aliénation » des modes traditionnels de vie et de pensée[25].


Si dans le passé, l’Église s’est faite la garante de l’identité québécoise, elle ne peut aujourd’hui jouer ce rôle au risque de se faire taxer de « nationalisme » et de ne plus pouvoir jouer son rôle « catholique » au sens universel du terme. Le modèle de croissance intégrale invitera donc à l’ouverture face aux différentes ethnies présentes dans le milieu. Et pour mieux annoncer l’Évangile, la communauté chrétienne fera des efforts pour se mettre à l’écoute de son environnement socioculturel.


Les changements rapides de la culture au Québec sont aussi dus à l’influence particulièrement forte des États-Unis. Celle-ci existe non seulement à cause de la proximité géographique, mais aussi par l’attrait inconditionnel qu’exerce ce pays chez les jeunes, bombardés par les émissions télévisées américaines. Pour les adultes, la domination économique et la suprématie militaire des États-Unis leur donnent figure de vainqueurs et de protecteurs dans un monde instables et toujours en lutte pour sa survie. Une telle influence n’est pas un problème pour la mise en place du modèle de croissance intégrale qui s’inspire en partie de certaines Églises américaines. Il n’est toutefois pas conseillé de copier sans discernement les éléments culturels qui appartiennent aux modèles d’origine, mais de repérer les éléments de sacré propres à la culture québécoise qui ont beaucoup à apporter au modèle de croissance intégrale et qui ont encore un impact d’attrait dans la société d’aujourd’hui.


Il est difficile de prévoir ce que pourrait devenir la culture québécoise de demain. Mais les habitants du Québec, aussi diversifiées que soient leurs origines actuelles, traduisent forcément des aspirations de type universaliste partagées par l'ensemble des civilisations (celles de la promotion sociale, l'amélioration de la qualité de la vie, l'élimination des facteurs représentant des risques pour la vie et le bien-être des individus, la participation des petites unités sociales aux mécanismes de décision des grands ensembles politiques et l'auto-détermination...) et des aspirations particulières liées à notre destin d'Américain francophone[26].


Une meilleure connaissance de ces aspirations universelles et particulières peut aider la communauté à choisir le contenu des cours proposés dans le modèle de croissance intégrale. Il s’agit de montrer aux Québécois et les Québécoises comment l’Évangile peut contribuer à leur croissance et leur permettre de rejoindre leurs aspirations.


C’est la quasi toute-puissance des communications de masse qui laisse à penser que nous nous dirigeons, en partie, vers une culture mondiale. Depuis quarante ans, le Québec et le monde entier communient quotidiennement non seulement à la culture américaine mais aussi à d’autres cultures. Il y a une influence réciproque. Qui pourrait nier que la culture zen n’ait pas influencé les milieux américains cette dernière décennie? Les sociétés bourgeoises américaines et occidentales se voulaient Zen comme pour trouver un plus grand équilibre dans un monde stressé qui va trop vite. L’Église locale adoptant le modèle de croissance intégrale cherchera idéalement à connaître non seulement la culture ambiante de son milieu, mais aussi celle que recherchent les personnes en général dans le village mondial. L’influence d’une culture ou d’une autre en dit long sur les recherches et les aspirations des personnes.


Bien que l’influence de la culture américaine et mondiale soit forte, je ne pense pas que le Québec devienne une étoile francophone collée au drapeau américain. Une certaine américanisation se retrouve dans les faits et il est peut-être plus juste de parler du Québécois comme d’un Américain francophone plutôt que d’un Français d'Amérique : Il est un homme d'Amérique du Nord. Ses goûts sont ceux d'un Nord-Américain. Son rythme de vie, sa nourriture, son vêtement, sa manière d'aborder les problèmes, son mode de relations humaines sont ceux d'un Nord-Américain[27]. Mais la fierté québécoise et la recherche de son identité, amèneront les Québécois et les Québécoises à s'engager dans la voie de l'originalité et de la singularité[28].


Un point important à mentionner avant de terminer : si les membres d’une Église se doivent d’être ouverts à la culture ambiante pour inculturer l’annonce de la Bonne Nouvelle, de manière à ce que l'Évangile soit proclamé dans le langage et la culture de ceux qui l'entendent, il est important pour eux de se rappeler qu’il peut y avoir des incompatibilités entre l’Évangile et la culture. Quand cela se produit, la mission de l’Église devrait viser à évangéliser les éléments de la culture qui sont en contradiction avec la Parole de Dieu et la dignité des personnes.


Au cours des dernières années, par le biais de leurs interventions sur les problèmes politiques, économiques et sociaux, les évêques du Québec ont régulièrement invité les communautés chrétiennes à l'évangélisation de la culture. Or évangéliser une culture, ce n'est pas seulement tenir un discours critique sur cette dernière ou conduire des individus sur le chemin de la foi, mais c'est aussi avoir une action planifiée qui vise, à long terme, à transformer les institutions qui se nourrissent de cette culture et qui en même temps la reproduisent. Rappelons que les institutions moulent les consciences des gens et, de la sorte, orientent largement leurs comportements. Vouloir évangéliser les individus sans chercher en même temps à transformer les institutions qui les façonnent dans un sens qui n'est pas nécessairement évangélique, c'est poursuivre à moitié l'objectif missionnaire[29].


Les Églises du Québec auront un impact plus grand sur la société si elles ne s’écartent pas du courant de la révolution médiatique mais qu’au contraire, elles cherchent à mieux s’y intégrer. Grâce à leur dimension humaine les groupes de maison seront certainement des oasis de relations authentiques et vraies dans un monde de plus en plus virtuel. Ils proposent une alternative, un complément pour les relations humaines appauvries par la distance qui sépare les interlocuteurs. L’explosion médiatique a l’avantage de transmettre des informations en quantité exponentielle, mais information ne veut pas dire communication. Les êtres humains ne pourront pas réellement s’épanouir dans des relations d’ordinateur à ordinateur. Les groupes de maison permettront aussi de donner un enseignement qui comporte un suivi et une progression logique pour mieux faire grandir les personnes.


Les groupes de maison ont l’avantage de permettre l’expérience de la fraternité, de l’engagement missionnaire et du dialogue avec d’autres personnes habitant un même lieu. Ils valorisent le sujet en lui permettant, dans les décisions qui sont prises, d’exercer son esprit démocratique. Enfin, l’accueil de personnes de cultures différentes habitue à la tolérance et permet un cheminement vers la compréhension mutuelle.


La révolution médiatique qui n’est pas encore dans sa phase la plus intense va longtemps encore influencer le Québec. En fait, cette révolution fait partie de sa culture, elle en est un des éléments les plus fascinants, car source de changements intenses et profonds qui sont loin d’êtres terminés. Ces changements culturels sont d’une importance considérable pour l’Église et sa mission de communiquer l’Évangile, car si le langage liturgique et les services ecclésiaux ne sont pas adaptés, le message de la Bonne Nouvelle sera incompréhensible et peu en lien avec les besoins réels qui émergent de cette culture en perpétuel changement. Le modèle de croissance intégrale vise l’adaptation au milieu, mais il faudra considérer que cette adaptation n’est pas acquise une fois pour toutes et être constamment à l’écoute du milieu pour s’ajuster au fur et à mesure.



NOTES

[1] Assemblée des évêques du Québec, Annoncer l’Évangile dans la culture actuelle au Québec, Montréal, Fides, 1999, p. 15.

[2] Si l'on souhaite voir l'Église là où sont les gens, doit-on aussi imaginer une Église locale virtuelle (localisée sur Internet). Il existe déjà des banques virtuelles qui n’ont aucun lieu physique.

[3] Grâce au system de « Chat »Internet permet de parler d’un ordinateur à un autre en temps réel et de mettre ainsi les personnes en relation les unes avec les autres.

[4] Le Webcam est une petite caméra qui sert aux internautes pour voir sur leur écran en temps réel leur partenaire de chat.

[5] Cf. Assemblée des évêques du Québec, op. cit., p. 18.

[6] Ibid., p. 19.

[7] On entend par traditionnel l’enseignement de la foi qui reste le même à travers l’histoire et dont l’Église se veut la dépositaire depuis deux mille an. Le terme ne réfère pas au courant traditionaliste qui s’oppose parfois au courant progressiste.

[8] Cf. Assemblée des évêques du Québec, op. cit., p. 20.

[9] Cf. ibid., pp. 20-21.

[10] Ibid., p. 22.

[11] Ibid., p. 22.

[12] Ibid., p. 32.

[13] Ibid., p. 33.

[14] Ibid., p. 42.

[15] Ibid., p. 50.

[16] Ibid., p. 50.

[17] J. Grand’Maison, L. Baroni et J.-M. Gauthier (ss la direction de), Le défi des générations : Enjeux sociaux et religieux du Québec d’aujourd’hui, Coll. Cahiers d’études pastorales, #15, Montréal, Éditions Fides, 1995, p. 45.

[18] Ibid., p. 47.

[19] Ibid., p. 58.

[20] Cf. ibid., p. 58.

[21] Assemblée des évêques du Québec, op. cit., p. 34.

[22] Ibid., p. 35.

[23] Ibid., p. 35.

[24] P. Lanthier et G. Rousseau, La culture inventée : Les stratégies culturelles aux 19e et 20e siècles, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1992, p. 359.

[25] M.-A. TREMBLAY, L’identité québécoise en péril, Ottawa, Les éditions Saint-Yves Inc., 1983, p. 210-211.

[26] Ibid., p. 212.

[27] G. Rocher, Le Québec : Résistance et continuité, Jean Sarrazin et al., Dossier-Québec, Montréal, Les Éditions Stock, 1977, p. 37.

[28] Cf. R. A. Jones, « Le spectre de l’Américanisation », dans Les rapports culturels entre le Québec et les États-Unis, sous la direction de Claude Savary, Québec, 1984, p.159.

[29] Comité de recherche de l’assemblée des Évêques du Québec sur les communautés chrétiennes locales, op. cit., p. 100.