14.2.2 Le modèle de croissance intégrale et les orientations pastorales de l’Église de Montréal

Dans ce dernier chapitre nous allons présenter un autre exemple de considération du contexte dans la mise en place du modèle de croissance intégrale. Après avoir fait ressortir plusieurs éléments du contexte québécois et des Églises paroissiales catholiques, nous allons nous pencher sur les orientations pastorales promulguées par l’Archevêque de Montréal à la suite du récent synode. Ces promulgations reflètent, dans l’ensemble, les désirs des membres de l’Église de Montréal. Nous verrons si ces désirs peuvent avoir une influence sur les composantes du modèle.

Les participants du synode se sont prononcés pour une Église-communion. Le document qui présente les orientations pastorales pour le diocèse promulguées à la suite du synode[43] rappelle que, de par sa nature théologale, l'Église-communion n'a pas de frontières : elle est missionnaire. Sa vitalité repose à la fois sur l'engagement de tous et sur la disponibilité de chacun à l'action de l'Esprit[44].

Le modèle présenté dans cette recherche va dans ce sens; non seulement permet-il une plus grande communion grâce aux groupes de maison mais il est aussi profondément missionnaire. Il invite les responsables de communauté à faire en sorte que toute la communauté chrétienne soit investie de la mission d’annoncer Jésus-Christ pour témoigner de sa foi, qu’elle sache accueillir et accompagner les personnes en cheminement et travaille à répondre aux besoins du milieu. Par le cheminement de croissance proposé aux membres à l’intérieur de la communauté chrétienne, la vision véhiculée par le modèle est bien celle d'une évangélisation qui s'inscrit et se réalise au cœur même de l’Église-communion.

Les orientations du synode de Montréal s'articulent autour de cinq thèmes qui sont en harmonie avec le modèle de croissance intégrale : (1) Proposer la foi en Jésus-Christ; (2) célébrer la foi et rendre grâces à Dieu; (3) bâtir une communauté missionnaire au service du monde (4) qui soit ouverte, accueillante et fraternelle, (5) et y vivre une véritable coresponsabilité.

Dans la ligne des propositions, le modèle vise une plus large participation des laïcs dans la vie de l'Église en vue de la mission. Par sa structure et ses orientations fondamentales, les responsables et la communauté chrétienne tout entière peuvent être plus proches des gens du milieu et à l'écoute de leurs besoins et de leurs attentes. C’est le souhait exprimé par les diocésains et diocésaines et repris par le Cardinal Jean-Claude Turcotte dans la présentation du texte des propositions.

L'Église de Montréal semble en fait un lieu propice pour greffer le modèle de croissance intégrale. Celle-ci souhaite, en effet, permettre aux laïcs d’exercer un leadership de participation et de vivre la coresponsabilité avec les membres ordonnés. Les propositions encouragent entre les prêtres et les laïcs (1) un échange d'information relatif aux multiples besoins et attentes de la communauté; (2) un dialogue en toute égalité pour en arriver à faire des choix judicieux ; (3) une participation de tous aux prises de décision concernant la définition des objectifs, l'explicitation des orientations pastorales et l'élaboration des politiques et des directives pastorales (Cf. # 83-85). L’Église de Montréal qui souhaite une Église-communion, tout entière ministérielle, est consciente qu’une telle option demandera des transformations pastorales, administratives et organisationnelles. (Cf. # 80-82). Ces transformations sont en grande partie celles proposées par le modèle de croissance intégrale.

Je rappelle ici succinctement les grandes lignes du modèle de croissance intégrale et ses structures essentielles[45]. Le modèle part des fonctions de l’Église déployées selon les besoins et la culture du milieu (à l’extérieur de la communauté chrétienne et à l’intérieur) avec la participation des membres de la communauté pour en arriver à la qualité des services offerts et à l’amour et l’efficacité dans l’accomplissement de la mission chrétienne. Les structures d’un tel modèle sont celles de l’Église paroissiale habituelle complétées par une série de cours de formation permettant la croissance des membres de la communauté et leur implication progressive dans la mission de l’Église. Cette formation est offerte tant aux enfants qu’aux adultes, et les personnes qui la reçoivent sont ensuite invitées à participer à la vie de communion et de mission dans l’Église; elles intégreront des groupes de maison ayant une fonction particulière pour répondre aux besoins du milieu : groupes de soutien, groupes d’évangélisation, groupes d’intervention sociale, groupes liturgiques, etc..

Le synode fait ressortir que les membres des communautés chrétiennes de Montréal sont soucieux d’affirmer leur foi et d'approfondir leur connaissance de la parole de Dieu[46]. Le document des propositions les invite à se faire messagers de la Bonne Nouvelle et à se préoccuper de la transmission de l'héritage chrétien[47].

La formation offerte dans le modèle de croissance intégrale ainsi que les groupes de maison permettront aux membres de l’Église non seulement d’approfondir leur foi et leur connaissance de la Parole de Dieu, mais aussi d’améliorer leur communion avec les autres membres de l’Église et d’affirmer courageusement et ouvertement leur foi en Jésus-Christ dans les lieux de travail, de vie familiale et sociale, dans les relations interpersonnelles et intergroupes comme le conseille le document d’introduction[48].

Une formation adaptée aux besoins des membres de la communauté chrétienne et du milieu permettra de rejoindre la personne humaine dans la totalité de son être et la diversité de ses attentes et de ses besoins[49].

Cette structure de cours animés par des laïcs amène les responsables de la communauté à considérer leur rôle comme des formateurs à l’instar de Jésus qui a formé quelques disciples qu’il avait lui-même choisis. Ce n’est pas le premier responsable de la communauté qui assure l’animation des cours et des groupes de maison, ce sont les laïcs issus eux-mêmes du processus de croissance proposé dans le modèle. Grâce à une priorité donnée à la formation et à l’implication des adultes, la communauté pourra aller de l'avant dans l'organisation de catéchèses pour jeunes[50] et pour adultes qui utilisent un langage simple et adapté et qui visent à répondre aux besoins spirituels des personnes. Selon les conseils du synode, il s’agira d’inculquer une attitude de respect et d’accueil face aux autres religions. Les responsables des différents cours pourront dispenser des informations objectives sur les diverses croyances et les différents groupes religieux qui existent dans leur milieu et accueillir avec compréhension les personnes qui sont tentées de quitter le catholicisme ou qui le redécouvrent (# 4).

Le modèle de croissance intégrale ne trace que les grandes lignes d’un projet pastoral paroissial et ne fixe pas d’avance le contenu précis de la formation ou des orientations missionnaires des groupes de maison; ce sont les responsables de communauté, avec leurs équipes, qui fixent les objectifs précis en fonction du milieu. Dans un contexte comme celui de Montréal, la communauté chrétienne tout entière est invitée à intensifier son partenariat avec les autres Églises chrétiennes dans les domaines de l'éducation chrétienne, des écoles et de la justice sociale, dans des rencontres de prière et des projets pastoraux qui répondent aux besoins de la société pluraliste et multiculturelle (Cf. # 3).

Les groupes de maison, qui font partie de la structure du modèle de croissance intégrale, sont aussi des lieux où peut se poursuivre l'éducation chrétienne des enfants et de la jeunesse et susciter l'éveil religieux des tout-petits. Il est important que ces groupes de maisons spécialisés dans l’éducation des enfants soient animés par des personnes capables d'actualiser la Parole de Dieu et les valeurs évangéliques pour la vie d’aujourd'hui. Elles vont dans le sens de la huitième proposition qui suggère la formation de petites cellules communautaires où les jeunes peuvent vivre des expériences de fraternité, de formation et d'engagement selon les valeurs chrétiennesmettre leurs expériences en commun et trouver les meilleures façons de rejoindre d'autres jeunes (# 9).

Le modèle de croissance intégrale permet de réaliser de manière concrète l'éducation permanente de la foi des baptisés souhaitée par le synode. Grâce aux différents cours et aux partages dans les groupes de maison, la Bible pourra aussi prendre davantage de place dans la vie des baptisés et raviver leur foi. Ainsi se réalisera l’accompagnement des adultes soucieux de progresser dans leur cheminement spirituel (Cf. # 16).

Même si le modèle de croissance intégrale propose de relier les différentes activités de l’Église autour d’une seule vision élaborée en fonction du milieu, les responsables devront quand même faire la promotion des autres groupes de partage de foi et des associations spirituelles et apostoliques (Cf. # 19) qui ne sont pas directement reliées à sa vision ; ceci de manière à ne pas se refermer sur soi et à mieux répondre aux besoins des membres de sa communauté. Certains groupes de maison pourront proposer un service de counselling pour résoudre les difficultés que rencontrent des personnes au sujet de la religion.

Parmi les cours proposés dans le modèle se trouvent ceux de préparation au baptême, à la première communion et à la confirmation. Les parents des enfants en cheminement pourront êtres invités à se joindre à un groupe de maison leur permettant d’approfondir leur cheminement personnel et de trouver un support dans l’éducation chrétienne de leurs enfants. Ces groupes leur permettront aussi d’être plus sensibles aux exigences de leur propre baptême comme la recherche de sainteté personnelle et la responsabilité apostolique en vue de l'évangélisation des milieux où ils vivent et travaillent (# 22). Il serait bon que les groupes adoptent une approche catéchuménale pour la préparation des jeunes à la célébration de l'eucharistie et de la confirmation (# 23). Après avoir reçus les sacrements, les jeunes seront, eux-aussi, invités à cheminer dans d’autres groupes de maison où ils pourront continuer à être en communion avec les autres jeunes de la paroisse.

Ayant implanté, comme le conseille le synode de Montréal, un service de pastorale auprès des jeunes dans chaque secteur de la paroisse, les Églises paroissiales qui adopteront le modèle de croissance intégrale auront avantage à travailler en collaboration avec celui-ci et le cas échéant à collaborer elles-mêmes avec les milieux communautaires pour mieux connaître les besoins des jeunes de leur milieu. Des groupes de maison « spécialisés » selon tel ou tel besoin seront plus aptes à apporter du soutien aux personnes en détresse.

Une attention toute particulière devrait être accordée aux familles pour les soutenir dans les situations complexes et déchirantes qu’elles vivent parfois : familles nucléaires, reconstituées et monoparentales, etc. Les groupes de maisons qui rassembleront ces familles pourront éventuellement référer certaines personnes à des services psychologiques et thérapeutiques spécialisés et faire connaître les mouvements familiaux du milieu qui œuvrent dans ce sens. Ces groupes viseront à offrir un soutien aux parents qui demeurent à domicile avec de jeunes enfants ainsi qu'aux familles monoparentales souffrant d'isolement et/ou de mise à l'écart (# 70).

Certains groupes de maison pourront se rassembler dans des centres d'accueil et des maisons de retraite, afin d’assurer aux résidents les services spirituels dont ils ont besoin et de les aider à poursuivre leur rôle de membres actifs dans la vie de l'Église (# 71). Selon les secteurs c’est aussi des groupes comprenant des immigrants qu’il faudrait mettre sur pied afin de rejoindre leurs besoins particuliers.

Dans l’élaboration de leur vision et la rédaction de l’énoncé de mission, les Églises chercheront à collaborer avec le groupe de pastorale sociale du secteur et avec les organismes et les autres confessions religieuses qui travaillent dans le sens d'une plus grande justice sociale. Selon les orientations promulguées par l’Archevêque de Montréal, un de leurs objectifs sera de dénoncer les injustices présentes dans leur milieu, de se porter à la défense des victimes (Cf. # 40) et d’accorder une attention particulière aux personnes qui se considèrent exclues de la communauté ecclésiale. Enfin, il faudrait que l’intégration des personnes handicapées à la vie des groupes de maison soit facilitée en éliminant les barrières physiques, sociales, psychologiques et pastorales.

Les orientations pastorales promulguées donnent un éclairage particulièrement intéressant sur les activités qui peuvent être élaborées dans les groupes de maison. Certains auront à se spécialiser pour rejoindre les jeunes, les familles en difficulté, les immigrants, d’autres pour donner des catéchèses aux enfants et aux jeunes adultes; d’autres encore pour travailler avec les écoles, les groupes luttant pour la justice sociale, etc. À chaque groupe revient sa mission et son charisme. Cette souplesse permet à l’Église locale de travailler avec les autres organismes du milieu et d’incorporer à la vision communautaire des structures d’intervention déjà existantes dans le milieu. Il est souhaitable que le lieu de rassemblement des groupes ne soit pas seulement les maisons. Les chrétiens pourront par exemple mieux venir en aide aux personnes âgées si certains se rassemblent dans des centres d’accueil.



NOTES

[43] Je me référerai tout au long de ce chapitre au document officiel des orientations du synode promulguées par le Cardinal Turcotte (Archevêque de Montréal). Ce document a entre autres été publié sur Internet à l’adresse suivante : http://www.missa.org/sytmf.html et mes références renverront à sa publication sur le Web.

[44] Diocèse de Montréal, Orientations pastorales du Synode diocésain, http://www.missa.org/syprf.html

[45] Se référer aussi au diagramme du chapitre 12.1 De la quantité à la qualité et 12. 3. Évaluer la croissance intégrale selon les quatre fonctions de l’Église et la recherche d’amélioration continue.

[46] Cf. Diocèse de Montréal, op. cit., http://www.missa.org/sy1f.html

[47] Ibid., http://www.missa.org/sy1f.html

[48] Ibid., http://www.missa.org/sy1f.html

[49] Ibid., http://www.missa.org/sy1f.html

[50] Cf., ibid., http://www.missa.org/sy1f1c.html