2.1 Les éléments qui freinent la croissance numérique

Le premier frein à la croissance serait la crise d’identité des communautés chrétiennes et leur manque de vision. Confrontées à la décroissance numérique, elles ne verraient que les aspects négatifs de leur situation, empêchant l’élaboration d’une vision significative pour l’avenir, vision à laquelle les membres et les personnes nouvelles pourraient s’accrocher. Pour pallier au manque de personnel, ces Églises travaillent ou essayent de travailler de concert avec les Églises voisines. Pourtant cette orientation nuit au sentiment d’appartenance et empêche la communauté d’avoir une identité propre[1].

Le deuxième frein concerne le manque de foi et de confiance en Dieu. Beaucoup d’Églises, confrontées à la décroissance, ne croiraient plus qu’elles peuvent se renouveler et sortir de la crise. En quelque sorte, elles limitent ce que Dieu serait capable de faire et pensent qu’il y a trop d’obstacles pour sortir de la décroissance[2]. Elles finissent par développer une estime de soi négative et ne se pensent plus en mesure d’affecter positivement leur milieu: on reste petit si l’on pense ne pas pouvoir grandir[3].

Le troisième frein à la croissance vient de la complaisance en soi[4]. Certaines communautés chrétiennes ont pu avoir des heures de gloire, mais le contexte a changé et les membres « fichent le camp ». Étonnamment, ces Églises demeurent dans l’orgueil et ne sont pas prêtes à reconnaître la mésadaptation de leurs activités[5]. Elles ne font que maintenir le statu quo et vivent dans l’illusion face à l’impact réel qu’elles ont dans la société. On remarque souvent qu’elles rejettent la responsabilité de la décroissance sur ceux qui sont partis ou qui ne viennent pas en disant que leurs églises sont toujours ouvertes et que les gens intéressés n’ont qu’à venir : The doors are wide open. If they want to come to church, all they have to do is walk in, and they’ll find we’ll welcome them[6].

Le quatrième frein découle souvent du troisième, il s’agit du problème d’isolement de la communauté chrétienne et la méconnaissance des besoins de son milieu. Parfois, c’est la non acceptation des changements de population qui sont survenus dans le milieu qui empêchent la croissance. On n’accepte pas les nouvelles ethnies et la population de l’Église vieillit[7]. Les membres ont de moins en moins de contacts avec les personnes qui ne viennent pas à l’église. À cause de cet isolement et de la peur de ces changements, l’attitude qui prédomine est une attitude défensive. Parce que les responsables ne cherchent qu’à maintenir le statu quo, le personnel engagé ne remplit plus des postes qui répondent aux besoins qui ont changé dans le nouveau contexte social. Comme ces emplois ont toujours existé, on les comble[8].

Le cinquième frein est l’oubli de la dimension missionnaire de la communauté chrétienne[9]. Une Église ne peut pas grandir si elle met de côté son mandat de faire des disciples, si elle est indifférente au salut des personnes de son quartier[10]. Les communautés chrétiennes qui ne grandissent pas se préoccupent excessivement de l’aspect matériel de leurs Églises[11] ou ont tendance à mettre la priorité sur des activités qui ne produisent pas directement la croissance numérique, comme par exemple la communion et la fraternité à l'intérieur de la communauté. Ce n’est pas une mauvaise chose en soi, mais trop d’importance est accordée à ces dimensions de la vie chrétienne empêchant la communauté de s’ouvrir au monde extérieur.

Le sixième frein se manifeste lorsque les responsables manquent de leadership ou lorsqu’ils ne permettent pas aux membres non-ordonnés d’avoir une part de leadership[12]. Dans les Églises en décroissance qui stagnent, certaines responsabilités sont quand même données aux laïcs mais dans des activités de catéchèse ou de travail de bureau, non pas dans des activités d’évangélisation[13]. Il y a une carence de leadership aussi lorsque les responsables ont une peur bleue des conflits ou qu’ils cherchent à plaire à tout le monde[14]. Un autre problème qui concerne la direction de la communauté est la longueur de leur mandat pastoral : lorsque les pasteurs sont changés trop souvent ou trop rapidement, car on ne commence à voir les fruits des orientations pastorales et missionnaires d’un responsable qu’après quatre ans à six ans[15].

Le septième frein vient d’une méconnaissance des méthodes d’évangélisation et d’un manque de bon sens. Certaines Églises par exemple mettent très mal à l’aise les nouveaux ou les visiteurs en leur demandant de se présenter devant toute l’assemblée[16]. Les responsables devraient pourtant savoir que la peur numéro un de la plupart des gens est de parler en public. Ils devraient savoir aussi que le porte-à-porte est aujourd’hui considéré, du moins dans les sociétés occidentales, comme une intrusion dans la vie privée[17]. À l’inverse, ne pas inviter les gens[18], alors que l’on sait que la plupart des personnes qui remettent les pieds dans une église l’ont fait parce qu’un proche les y a invitées, ne relève pas de la sagesse. Et lorsque les gens rejettent une invitation, les membres des Églises en décroissance comprennent ce refus comme un « non » définitif plutôt que comme un « pas encore »[19]. Une autre erreur est d’essayer de rejoindre et d’attirer tout le monde. Il s’agit plutôt de cibler une catégorie précise de personnes, celle qui a le plus de chance de s’identifier à la communauté et d’être intéressée par ses services[20].

Le dernier frein à l’évangélisation relève du domaine des structures d’ordre matériel et des moyens de financement de la communauté. Si l’église est pleine à quatre-vingt pour cent, il est beaucoup plus difficile pour elle de croître. C’est pourquoi les Églises en décroissance qui fusionnent peuvent amener une réduction trop importante des places. Ces fusions limitent aussi le nombre de postes de responsabilités pour les membres non-ordonnés. Par ailleurs les Églises qui ne croissent pas sont gênées de demander de l’aide financière ou en demandent sous forme d’obligation[21]. Ou encore, elles reçoivent leur financement de l’extérieur, ce qui n’encourage pas les responsables à avoir les meilleures relations possibles avec les membres de la communauté[22].


NOTES:

[1] Cf. L. SCHALLER, Assimilating New Members, Nashville, Abingdon, 1978, pp. 60-61.

[2] Cf. J. MILLER, Outgrowing the Ingrown Church, Grand Rapids, Zondervan, 1986, p. 29.

[3] Cf. G. BARNA, User-Friendly Churches, Ventura, Regal books, 1991, pp. 175-176.

[4] Cf. J. MILLER, op. cit., p. 30.

[5] Cf. G. BARNA, op. cit.,, p. 176.

[6] L. SchalleR, op. cit., p. 62.

[7] Peter Wagner dans son livre Your Church Can Grow, (Ventura, Regal, 1976) donne le nom d’Ethnikitis la maladie de certaines Églises de se complaire avec les gens de leur propre ethnie sans s’ouvrir, sans évangéliser les nouvelles populations qui s’installent dans leur quartier. À long terme, cette maladie peut amener à la mort de la communauté.

[8] Cf. G. BARNA, op. cit., p. 182.

[9] Cf. J. MILLER, op. cit., pp. 35-36.

[10] Cf. ibid., p.29.

[11] Cf. L. SCHALLER, op. cit., p. 58.

[12] Cf. P. WAGNER, Your Church Can Grow, Ventura, Regal, 1976, p. 148.

[13] Cf. T. Yamamori, « Factors in Church Growth in the United States », The complete book of Church Growth, de Elmer L. Towns, Wheaton, Tyndale House publisher, Inc., 1986, p. 317.

[14] Cf. J. MILLER, op. cit., pp. 31-32.

[15]Cf. L. SCHALLER, op. cit., pp. 53-54.

[16] Cf. G. BARNA, op. cit., p. 177.

[17] Cf. ibid., p. 181.

[18] Cf. L. SCHALLER, op. cit., pp. 52-53.

[19] Cf. ibid, p.65.

[20] Cf. ibid, pp. 65-66.

[21] Cf. G. BARNA, op. cit., pp. 180-181.

[22] Cf. L. SCHALLER, op. cit., pp. 55-56.