6.3 Évangélisation et organisation dans l’Église primitive

Il est impossible de parler de la croissance de l’Église sans s’arrêter aux Actes des Apôtres et à la descente de l'Esprit Saint le jour de la Pentecôte. Nous sommes en en présence d'un événement historico-religieux qui nous parle de la création de l'Église et de son expansion.

On trouve dans les Actes plusieurs passages sur la croissance numérique de la communauté chrétienne[37]. À l’instar des miracles, la croissance apparaît comme l'efficacité même de la résurrection qui est à l’œuvre. À travers elle, les hommes et les femmes peuvent reconnaître l’action de Dieu et lui rendre gloire. Les Actes ont d’ailleurs été en partie écrits pour démontrer que la croissance de la première communauté est attribuable non pas tant à l’action des êtres humains qu’à celle de l’Esprit[38].

En parlant de l’Église primitive, il faut se situer dans le contexte de l'époque. Les premiers chrétiens continuaient de participer à la vie religieuse du peuple juif. Les milliers de Juifs qui avaient embrassé la foi (Ac 4:4) étaient de zélés partisans de la Loi (Cf. Ac 21:20[39]) : leurs enfants étaient circoncis, les prescriptions relatives aux purifications observées et le repos du sabbat pratiqué. Ceux qui habitaient Jérusalem participaient aux prières quotidiennes au Temple (Cf. Ac 2:46). Leur but n’était pas de constituer une communauté séparée de celle des juifs. En fait les chrétiens apparaissaient, aux yeux du peuple, comme des Juifs particulièrement fervents.

L'une des caractéristiques remarquables de l’Église primitive fut l'engagement spontané de l’ensemble des chrétiens dans la mission d’évangéliser. Tous pouvaient, d’une manière ou d’une autre, reprendre à leur compte la parole de Pierre et de Jean : Pour nous, nous ne pouvons pas ne pas dire ce que nous avons vu et entendus (Ac 4:20). Le témoignage de évènements vécus n'était pas l’exclusivité des apôtres. L'évangélisation était la mission de tous : Les croyants les plus simples considéraient l'évangélisation comme leur responsabilité[40]. C’est pourquoi l’avancée du christianisme primitif fut due aux chrétiens « ordinaires »; l’Évangile se répandait par le moyen de ces missionnaires spontanés.

Faire connaître le Christ était une manière de rendre compte des évènements dont ils avaient eu une expérience directe. Le message de la Bonne Nouvelle se transmettait dans les réunions de maisons, dans les conversations occasionnelles, dans les prédications publiques, dans les discussions sur la place du marché ou à l'école de philosophie, dans le témoignage personnel, dans la rédaction de lettres et l'explication des Écritures. Il est intéressant de noter que l'Église primitive a peu organisé de grandes réunions publiques pour répandre l’Évangile. Cela tient, partiellement du moins, à la situation historique. Car les grandes assemblées publiques étaient interdites par décret impérial sauf à Jérusalem. Si nous exceptons les grands rassemblements dans la ville de Jérusalem qui nous sont rapportés dans les premiers chapitres des Actes, nous ne constatons rien de comparable jusqu’à la fin du IIe siècle lors du vaste mouvement qui a porté les masses vers le christianisme en Afrique du Nord[41].

Dans l'Antiquité, c’est le foyer qui joua un rôle considérable pour la propagation de l'Évangile[42]. La dimension relativement restreinte des groupes qui s'y réunissaient facilitait les échanges et permettait à chacun de participer : L'aspect informel, l'atmosphère détendue et généralement accompagnée d'une chaude hospitalité, tout concourait au succès de cette forme d'évangélisation[43]. Le Nouveau Testament nous rapporte par exemple les rencontres dans la maison de Jason à Thessalonique (Cf. Gal 1:12; 1Cor 15:1) et dans celle de Titius Justus à Corinthe (Cf. Rom 1:1 et Thes 2:2; 2:8-9)[44].

Mais si l'emploi des maisons a été un des facteurs décisifs pour la propagation de la foi chrétienne, l'évangélisation de personne à personne n'a pas été moins efficace. Les Actes des Apôtres nous fournissent, dans le récit de Philippe avec l’Éthiopien, un exemple typique de ce genre de contact qui illustre l’impact de cette forme d’évangélisation (Ac 8:26-39).

Il est une autre caractéristique de l’Église primitive qu'il faut relever : la réelle puissance qui accompagnait la proclamation du message chrétien[45]. Elle découlait de la conviction avec laquelle parlaient les prédicateurs. Ils étaient si remplis de l'Esprit de Dieu, si convaincus de la vérité et de la pertinence de leur message[46] qu’ils impressionnaient les auditeurs lassés par les discours sans fin des philosophes. La puissance qui accompagnait le message des prédicateurs se manifestait aussi par les guérisons et les exorcismes, dont l'importance fut inestimable pour l'avancement de l'Évangile[47]. Jésus-Christ envoya ses disciples non seulement prêcher la conversion, mais encore chasser les démons et guérir les malades. Pierre et Jean ne se bornèrent pas à évangéliser le boiteux de naissance qui se tenait à la porte du temple, ils lui communiquèrent, au nom de Jésus, le pouvoir de marcher (Cf. Ac 3:1 ss).

Les guérisons, les exorcismes aussi bien que la prédication de la Parole firent que le nombre de ceux qui croyaient au Seigneur augmentait de plus en plus (Ac 5:14)[48]. Il y avait aussi dans l’Église primitive de nombreux prophètes : C'est un ministère auquel le Nouveau Testament fait souvent allusion[49]. Il y en avait à Jérusalem, à Césarée, à Antioche, à Rome, à Corinthe, à Thessalonique et dans les Églises d'Asie Mineure (Cf. Ac 11:27; 13:1; Rom 12:6, 1Cor 12-14; 1Thes 5:20; Apo 1:3; 22:18). La prophétie était pratiquée indifféremment par des hommes et par des femmes et elle s'exerçait en vue de l'évangélisation (Cf. 1Cor 14:24 ss.), de l'édification, de la consolation, de l'enseignement (Cf. 1Cor 14:3 ss.). La prophétie est un don de l’Esprit que plusieurs possédaient (Cf. 1Cor 12:29).

Elle était tenue en très haute estime, et le ministère de Prophète venait immédiatement après celui d'Apôtre. C'est en effet par ces deux ministères que Jésus communiquait directement avec son peuple[50].

L’amour des premiers chrétiens, leur joie, la transformationde leurs habitudes de vie, donnaient de l’autorité à leur message. Ils avaient aussi une claire compréhension de la Bonne Nouvelle dont ils étaient les hérauts. Le contenu de leur message et la manière dont il était présenté dépendaient dans une large mesure de la capacité à traduire les mots et les idées en des termes adaptés et aisément compréhensibles pour les auditeurs. Il y avait ainsi une grande diversité dans la prédication de l'Évangile selon qu'elle s'adressait aux Grecs ou aux Juifs, aux intellectuels ou aux illettrés. Une chose demeurait cependant constante : le message était christocentrique, son centre n'était que la personne du Christ : Ces hommes avaient la conviction que toute la vérité sur Dieu et sur l'homme avait été révélée en Jésus[51]. Intensément sensibles aux besoins de leur milieu, à la pensée du monde dans lequel ils vivaient, au langage le plus apte à éclairer leur esprit, ils gardaient un objectif simple et direct : conduire leurs auditeurs au Christ Jésus[52].

Au niveau de l’organisation on trouve dans les Actes certains éléments. On y parle d’abord d'une mise en commun de tout ce que les chrétiens possédaient : ils vendaient leurs propriétés et leurs biens et en partageaient le prix entre tous selon les besoins de chacun (Ac 2:45). On y trouve en particulier le cas de Joseph qui possédait un champ et qui le vendit pour en donner le prix aux Apôtres (Cf. Ac 4:36-37). Cette mise en commun n'était pas obligatoire; il se peut qu’elle ait servi à renflouer une caisse commune pour subvenir aux besoins des pauvres, à la manière de ce faisait déjà dans les Synagogues. C'est éventuellement à cela que fait également allusion le service des veuves (Ac 6:1)[53].

Des éléments d'organisation sont également évoqués à propos de l’institution des Sept, dont Étienne[54]. À l'image de ce qui se faisait dans les Synagogues, les chrétiens avaient mis sur pied un service des pauvres et celui-ci était contrôlé par les Apôtres. Pour s’en dessaisir, ils instituèrent les Sept. Toutefois ceux-ci n’étaient pas destinés uniquement au service des pauvres; on les voit aussi prêcher et baptiser. Il semble que les Apôtres aient profité de l’occasion de la dispute relatée dans les Actes pour s’adjoindre des collaborateurs et leur communiquer une part de leurs pouvoirs[55].

Les deux éléments essentiels à retenir de l’évangélisation et de l’organisation dans l’Église primitive c’est que la première communauté chrétienne était missionnaire et animée de l’Esprit Saint[56]. Les apôtres ont commencé à penser en termes d’organisation lorsqu’il a fallu régler les problèmes matériels de la communauté (Ac 6). Ils ont délégué leurs tâches tant au niveau des services que de la prédication. Guidés et accompagnés par la puissance de l’Esprit, les premiers chrétiens avaient un but essentiel : témoigner de la résurrection de Jésus.


NOTES

[37] Parmi les versets qui parlent de la croissance numérique de la communauté chrétienne, on trouve :

Ac 2:41 : Eux donc, accueillant sa parole, se firent baptiser. Il s'adjoignit ce jour-là environ trois mille âmes.

Ac 2:47 : Ils louaient Dieu et avaient la faveur de tout le peuple. Et chaque jour, le Seigneur adjoignait à la communauté ceux qui seraient sauvés.

Ac 4:4 : Cependant beaucoup de ceux qui avaient entendu la parole embrassèrent la foi, et le nombre des fidèles, en ne comptant que les hommes, fut d'environ cinq mille.

Ac 6:7 : Et la parole du Seigneur croissait ; le nombre des disciples augmentait considérablement à Jérusalem, et une multitude de prêtres obéissaient à la foi.

Ac 11:21 : La main du Seigneur les secondait, et grand fut le nombre de ceux qui embrassèrent la foi et se convertirent au Seigneur.

[38] James D .G. Dunn dit de l’Esprit Saint qu’il est : the major force behind the evangelism and it’s success (The Acts of the Apostles, Epworth Press, London, 1996, xii).

[39] Ac 21:20 : Et ils glorifiaient Dieu de ce qu'ils entendaient. Ils lui dirent alors : Tu vois, frère, combien de milliers de Juifs ont embrassé la foi, et ce sont tous de zélés partisans de la Loi.

[40] M. Green, L’évangélisation dans l’Église primitive, St Légier, Éditions Emmaüs, 1981, p. 332.

[41] Cf. ibid, p. 238.

[42] Ibid, p. 250.

[43] Ibid, p. 250.

[44] Cf. ibid, pp. 250-251.

[45] Ibid, p. 226.

[46] Ibid, p. 226.

[47] Ibid, p. 226.

[48] Cf. ibid, pp. 226-227.

[49] Ibid, p. 240.

[50] Ibid, p. 240.

[51] Ibid, p. 338.

[52] Cf. ibid, p. 335.

[53] Cf. J. Daniélou, L’Église des premiers temps : Des origines à la fin du IIIe siècle, Paris, Éditions du Seuil, 1985, pp. 21-22.

[54] Ac 6:1-7 : En ces jours-là, comme le nombre des disciples augmentait, il y eut des murmures chez les Hellénistes contre les Hébreux. Dans le service quotidien, disaient-ils, on négligeait leurs veuves. Les Douze convoquèrent alors l'assemblée des disciples et leur dirent : " Il ne sied pas que nous délaissions la parole de Dieu pour servir aux tables. Cherchez plutôt parmi vous, frères, sept hommes de bonne réputation, remplis de l'Esprit et de sagesse, et nous les préposerons à cet office ; quant à nous, nous resterons assidus à la prière et au service de la parole. " La proposition plut à toute l'assemblée, et l'on choisit Étienne, homme rempli de foi et de l'Esprit Saint, Philippe, Prochore, Nicanor, Timon, Parménas et Nicolas, prosélyte d'Antioche. On les présenta aux apôtres et, après avoir prié, ils leur imposèrent les mains. Et la parole du Seigneur croissait ; le nombre des disciples augmentait considérablement à Jérusalem, et une multitude de prêtres obéissaient à la foi.

[55] Cf. J. Daniélou, op. cit., p. 22.

[56] Dans l’introduction du livre de James D .G. Dunn : The Acts of the Apostles (Epworth Press, London, 1996), à la page xix, on trouve le passage : The Christianity of Acts is characterized by mission from start to finish (1.8; 28.30-31), by the effectiveness and expansion of 'the word' (see on 4.4). That mission begins with the empowering of the Holy Spirit (1.5, 8; 2.1~2). Its direction and success is dependent on and enabled by the Holy Spirit (4.8, 31; 5.32; 6.5; 7.55; 8.29, 39; 10.19-20, 47; 13.2, 4, 9; 15.28; 16.6-7; 20.22).