12.1 De la quantité à la qualité

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Les recherches de Christian Schwartz ont récemment mis en lumière un élément qui vient tempérer les convictions du Mouvement de la croissance des Églises. Son enquête montre que seulement trente et un pour cent des Églises en croissance se fixent des objectifs numériques. Schwartz préconise donc de se fixer des objectifs qualitatifs plutôt que quantitatifs. Il explique que le qualitatif a des conséquences sur le quantitatif. Il parle d’un certain nombre de critères de qualité. Pour illustrer ses propos, l’auteur se sert de l’image d’un tonneau dont chaque planche représente un des critères de qualité. Lorsque l’on verse de l’eau dans un tonneau et qu’une des planches manque ou est trop courte, l’eau s’écoule. Cette eau, il la compare à la bénédiction de Dieu, la bénédiction de la croissance numérique qui ne peut être contenue par l’Église à qui il manque un ou plusieurs critères de qualité[1]. Il est donc nécessaire de travailler simultanément sur tous les critères … mais il importe de concentrer ses efforts sur celui qui est le plus faible[2].

La pensée de Christian Schwartz, développée dans la deuxième partie permet d’envisager l’évaluation des actions pastorales et missionnaires d’une Église à partir du critère de qualité plutôt que celui de quantité. Cette approche de la qualité est biblique (Mal 1:8[3]). Le critère qualitatif est un élément d’évaluation qui a un sens plus évangélique que le critère quantitatif. Offrir une qualité de service aux personnes du milieu, c’est leur montrer qu’on se soucie d’eux et qu’on prend au sérieux la mission de les servir.

Cette manière d’évaluer les actions d’une organisation n’est pas nouvelle; les principes de qualité totale et de poursuite d’excellence sont très présents dans le monde des organisations en général, et le pasteur Galloway en parle lorsqu’il explique la manière dont il gère son Église[4]. Certes, ils pourraient s’avérer nuisibles si on ne les mettait pas au service des membres[5], mais il n’en reste pas moins que de travailler à l’amélioration du service ecclésial est une marque de respect des personnes que l’on sert. Dieu nous a donné ce qu’il a de mieux[6], Jésus, qui est lui-même venu pour servir et non pour être servi (Mat 20:28). Le service est un élément essentiel de la mission chrétienne, et donner ce que l’on a de meilleur, offrir le meilleur service possible est un signe d’amour.

Viser et évaluer les actions ecclésiales selon le critère de qualité, c’est prendre la voie du progrès dans l’accomplissement de la mission de l’Église, c’est permettre de satisfaire les personnes du milieu; c’est aussi être en mesure de progresser sans définir d’objectifs numériques. Une telle approche s’inscrit dans la durée et engage tous les membres de la communauté dans une démarche d’amélioration continue qui vise à mieux accomplir la mission de l’Église.

Dans le cadre du modèle de croissance intégrale, l’évaluation par le critère de qualité nécessite l’implication de la communauté chrétienne tout entière dans un processus d’amélioration en vue d’offrir des services qui répondent toujours mieux aux besoins du milieu socio-culturel. Elle suppose que l’on observe le milieu dans lequel on se trouve pour en découvrir les pauvretés et les besoins. Elle invite à se poser un certain nombre de questions :

1. Qui sont les habitants du milieu et leur culture ?
2. Quelles sont leurs pauvretés, leurs besoins, leurs attentes ?
3. Quels sont les services que peut offrir l’Église en lien avec sa mission spécifique?
4. Quel serait le meilleur processus pour rejoindre les besoins découverts ?
5. Les services actuels de l’Église permettent-ils d’accomplir la mission ecclésiale et de satisfaire les personnes du milieu ?
6. Quelles sont les actions à inventer pour améliorer les services offerts?
7. Quels sont les indicateurs de la qualité de nos services ?

Les réponses à ces questions se trouvent dans la réflexion de l’ensemble des membres de l’Église qui peuvent aider à définir et à mettre en œuvre, avec les responsables, les améliorations et les adaptations nécessaires des services de la communauté chrétienne au milieu spécifique. Il s’agit d’identifier les aspirations, les pauvretés et les besoins du milieu et de voir comment des activités dans chacune des fonctions de l’Église peuvent les rejoindre. Les responsables ont ensuite à planifier leur mise en œuvre. Il y a donc cinq éléments essentiels composant le modèle de croissance intégrale:

1) Les fonctions de l’Église;

2)Le milieu socioculturel dans lequel se trouve l’Église;

3) Les besoins et pauvretés du milieu tant à l’intérieur de la communauté chrétienne qu’à l’extérieur;

4) La qualité et l’amour dans les services;

5) L’implication et la croissance des membres de la communauté chrétienne.


Le modèle peut se schématiser comme suit[7] :

Le modèle de croissance intégrale
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Les fonctions de l’Église sont au cœur de ce diagramme mais les activités ecclésiales qui les réalisent devraient être judicieusement choisies en fonction des personnes du milieu et des ressources de la communauté chrétienne. Les personnes du milieu et de la communauté chrétienne expriment des besoins, vivent des souffrances, portent des désirs et des inquiétudes auxquels le cheminement chrétien doit pouvoir apporter un certain nombre de réponses. Sans cette conviction essentielle que la Bonne Nouvelle peut être une réponse aux besoins fondamentaux de l’être humain, la communauté chrétienne perd de sa raison d’être et de son élan missionnaire. Dans le modèle de croissance intégrale, l’ensemble des ressources et des énergies de la communauté chrétienne est mobilisé dans le but d’aider les personnes du milieu à trouver des réponses à leur quête et à les faire cheminer vers l’actualisation du salut dans les différentes dimensions de leur vie.

Selon Marc 16:15 et Luc 15:3-7, l’Église concentrera une grande partie de ses efforts à aller à la recherche de la brebis perdue. Mais le terme « perdue », comme nous l’avons vu, ne concerne pas seulement la dimension eschatologique de la personne. Être perdu, c’est être pauvre à différents niveaux, c’est manquer d’espérance, de pardon, d’affection, d’amis, etc. Et en tout cela, la vie ecclésiale et le message de l’Évangile peuvent apporter une réponse si la communauté chrétienne se donne comme objectif d’organiser les activités de l’Église pour lutter contre ces différents niveaux de pauvreté. Il convient donc de se mettre à l'écoute du milieu, d'aller à la rencontre de ses habitants, de s'efforcer de comprendre leurs souffrances, d'anticiper leurs besoins et leurs attentes et d’adapter les activités de l’Église pour être réellement à leur service.

La prise de conscience, pour l'Église locale, de l'importance des besoins des personnes du milieu et de la communauté chrétienne se traduit par le souci constant de mieux entrer en dialogue avec leurs attentes et d’établir les bases d’un échange authentique. Par la mise en place de services qui rejoignent leurs besoins, tant à l’extérieur de la communauté chrétienne qu’à l’intérieur, on s’assure d’un intérêt accru pour la communauté et pour son message de salut. Sans forcément élaborer des stratégies complexes, il convient d'adopter une attitude d'écoute active et confiante. Ignorer les besoins actuels des personnes ce serait les inviter à « magasiner » ailleurs ce qu’ils voulaient trouver chez nous....

L’amélioration et l’écoute concernent tant les services rendus aux personnes qui cheminent à l’intérieur de la communauté, que celles qui lui sont étrangères car la qualité se mesure par la satisfaction à la fois des personnes qui font partie de la communauté chrétienne et de celles qui n’y viennent pas ou peu. Lorsqu’elles sont insatisfaites, beaucoup de personnes préféreront ne rien dire et aller ailleurs. Mais, dans le modèle de croissance intégrale qui se donne pour objectif l’amélioration continue de ses services, les personnes insatisfaites sont une des « ressources » majeures de la communauté. Il est nécessaire alors de leur donner les moyens de s’exprimer et de prendre des initiatives. Comment concrètement évaluer la satisfaction ? Une enquête d'opinion peut constituer un moyen efficace de connaître l'appréciation des personnes sur les services et le vécu communautaire ecclésial. Une telle enquête faite à intervalles réguliers, peut aussi permettre d’évaluer les progrès accomplis et de repérer l’évolution des attentes.


NOTES
[1] Les critères de qualité sont développés dans la deuxième partie de la thèse 9.3 L’Église, un organisme qui croît « de lui-même »
[2] Cf. C. SCHWARTZ, op. cit., p. 52.
[3] Malachie 1:8 : Quand vous amenez des bêtes aveugles pour le sacrifice, n'est-ce pas mal ? et quand vous en amenez des boiteuses ou des malades, n'est-ce pas mal ? Présente-les donc à ton gouverneur : en sera-t-il content ? Te recevra-t-il bien ? dit Yahvé Sabaot.
[4] Cf. D. GALLOWAY, op. cit., p. 107.
[5] Comme tous les principes de gestions, ceux-ci doivent être au service des membres de l’organisation et non les membres au service des principes.
[6] C’est ce que me faisait remarquer le pasteur Houde lorsque je l’ai interviewé le 5 mai 2000.
[7] Certains éléments du diagramme sont repris du livre de Shoji Shiba, Alan Graham, David Walden : 4 révolutions du management par la Qualité totale : Manuel d'apprentissage et de mise en œuvre du système TQM (Paris, Dunod, 1997).