13.4 Communication, motivation et équipes autonomes


Les responsables de la communauté voient donc leur rôle se transformer partiellement en celui de communicateurs et de motivateurs. Ils communiquent la vision de manière à mobiliser l’ensemble et à créer une cohésion générale. La mobilisation de l’Église sera facilitée par un programme diffusant, au sein de la communauté, les informations relatives au projet de l’Église.


Cette diffusion visera à préciser les étapes à franchir pour la mise en place du modèle de croissance intégrale. Pour chacune seront idéalement précisés : sa finalité, ses objectifs, ses destinataires, ses caractéristiques principales, son processus d'élaboration, ses délais de réalisation et éventuellement ses coûts. L’équipe du départ (Ch. 13.3) formée des premiers responsables suit la mise en place du modèle, elle est accueillante aux réactions de la communauté et fait des propositions concernant les différentes phases de réalisation.


L’équipe manifeste sa conviction dans la vision, et en aide l’acceptation auprès des membres de la communauté. La communication de la vision vise à entraîner l'adhésion de l’ensemble et à réaliser la mobilisation générale dans une mise en place progressive. Voici quelques éléments de cette progression.


  • Promouvoir les avantages du modèle et de la vision pour la communauté;
  • Cerner les problèmes;
  • Faire discuter la communauté et l’impliquer dans la recherche des solutions;
  • Arriver à un choix de décisions impliquant un grand nombre de personnes;
  • Montrer que les responsables de la communauté s'engagent personnellement et qu’ils considèrent la vision comme le projet de la communauté;
  • Organiser un suivi pour que la « motivation au changement » se maintienne[26].


Durant la période de mise en place du modèle, certains moyens concrets peuvent être utilisés pour faire connaître les nouvelles orientations : supports mémorisant l'opération, publications dans le feuillet hebdomadaire de l'état d'avancement du projet, et autres.


La transparence au niveau des informations produira un sentiment de confiance, d’appartenance et même de propriété[27] de la part des membres de la communauté chrétienne. Cette transparence devrait même être au niveau du budget : Il n'y a pas de meilleur moyen de montrer aux gens qu'on leur fait confiance que de partager avec eux l'information de nature délicate[28]. Si les personnes n'ont pas l'impression qu'on leur fait confiance, la prise de décisions est enrayée[29].


Cette information amènera les membres de la communauté chrétienne à agir de façon responsable. Dans un modèle d’Église qui souhaite leur permettre d’assumer des responsabilités et de prendre des initiatives, la transparence et la diffusion d’information les aideront à prendre les bonnes décisions. L'information est la clé qui responsabilise et donne accès à la confiance.


Des équipes pourront êtres constituées afin de réfléchir sur la concrétisation de la vision. Elles aideront à adapter les moyens de mise en œuvre du projet et à mobiliser les autres membres de la communauté. L'information continue donnée durant la mise en place du projet saura renforcer naturellement l’implication des membres parce qu’elle aura démontré la préoccupation des leaders à agir avec toute la communauté.


Beaucoup de gens ont de bonnes idées sur la façon d'améliorer les activités de l’Église et de mieux répondre aux besoins du milieu. Grâce à l’énoncé de mission, un certain cadre est donné pour orienter la communauté dans un même sens. Ces équipes peuvent donc bénéficier d’une large autonomie qui leur permette de concrétiser leurs idées et de prendre des décisions. La délégation de pouvoir et l’amélioration continue commencent ainsi. Au début, les responsables devront probablement aider ces équipes à fonctionner de manière autonome et à se prendre en main sans toujours se référer à eux. Ils exerceront leur leadership non pas en contrôlant ces équipes mais en leur fournissant les moyens de prendre des initiatives pour réaliser leur mission. Leur but est de confier progressivement de plus en plus de responsabilités aux équipes.


Dans les décisions des équipes, certaines erreurs seront commises mais pour ne pas éteindre l’initiative et la motivation des membres de la communauté il ne s’agira pas de se poser la question : Quelle est la personne à blâmer? mais : Quelle leçon pouvons-nous en tirer? Il y a une façon positive de voir les erreurs.


Les blâmes tuent l'esprit d'innovation. Les gens ne peuvent pas innover s'ils sont occupés à se protéger. D'un autre côté, la permission de prendre des risques, de faire des erreurs et de contester la façon dont les choses ont été faites dans le passé révèlent l'aptitude qu'ont les gens d'apprendre et de mettre en œuvre leurs talents[30].


Le droit à l'erreur ? Oui! Quand on considère l'erreur de parcours non plus comme quelque chose de mal ou un sujet de culpabilisation mais comme une occasion d'apprendre, on encourage Ies gens à réfléchir et à s’améliorer. En d'autres mots, les membres de la communauté grandissent dans leur capacité d’aller de l’avant sans peur. Les responsables impliquent les membres de la communauté dans la mission, et l’amélioration continue, tout en reconnaissant qu'ils doivent faire des erreurs pour continuer à s'améliorer[31].


Lorsque Jean-Paul Audet[32] parle du projet évangélique de Jésus, il explique qu’une « mission » suppose une authentique liberté d'initiative :


Cela suppose des options. Cela suppose des préparations, des essais, des tâtonnements, des succès et des échecs. Cela suppose des risques calculés suivant ce que les circonstances concrètes de l'action imposent au jugement et à la sagesse[33].


Les responsables arriveront réellement à libérer les forces vives de la communauté s’ils donnent aux membres la possibilité de prendre de réelles initiatives, s’ils leurs communiquent l’information nécessaire permettant des décisions autonomes et s’ils contribuent à créer une ambiance où ils se sentent en sécurité. Ainsi grandira chez les membres de l’Église un sentiment de confiance et d’appartenance. Leur désir de contribuer selon leurs talents sera plus grand et la collaboration réelle. Quand les gens commencent à sentir qu’on leur fait confiance, ils se mettent à agir en êtres responsables. Cela rend Église plus dynamique, tendue vers la réalisation de la vision.


L’idéal est que les équipes définissent des objectifs « pour elles-mêmes » et « par elles-mêmes ». Elles entreprennent de nouvelles activités et de nouvelles améliorations tout en travaillant de concert avec les responsables. Pour y arriver il faut qu’elles puissent agir avec peu de règles « venant d'en haut » sinon celles qui correspondent aux orientations du modèle de croissance intégrale, à savoir :


  • S’assurer que les activités correspondent à la mission de l’Église et à ses fonctions;
  • Viser à ce que les actions entreprises répondent aux besoins du milieu, soulagent les pauvretés et soient adaptées à la culture;
  • Faire connaître et proposer de manière efficace ses services dans le milieu;
  • Impliquer le plus de personnes possible et leur donner des responsabilités au sein des équipes. Assurer une formation, si nécessaire;
  • Évaluer avec l’ensemble de l’équipe, la qualité de l’amour et des services offerts.
  • Vérifier la satisfaction des membres de la communauté et des gens du milieu face aux activités offertes;
  • Prendre des décisions en vue de l’amélioration continue;
  • Garder le reste de la communauté chrétienne informée.


Dans le processus qui vise à mettre sur pied les équipes autonomes en vue de la responsabilisation des membres de la communauté chrétienne et de l’amélioration continue, un certain encadrement sera nécessaire au début pour parvenir à l’autonomie. Sans celui-ci, les gens continueront de se référer aux responsables au-dessus d’eux plutôt que de porter attention à ce qu’ils peuvent trouver comme amélioration et décider par eux-mêmes. Cet encadrement peut éventuellement être confié à un coordonnateur afin d’aider les équipes à être autonomes. C’est aussi lui qui pourra faire le lien entre les équipes et la direction de l’Église.


Les responsables arriveront à libérer les forces vives de la communauté en formulant un énoncé de mission compréhensible par tous, en donnant de l'information et en aidant les gens à travailler en équipes autonomes. Les membres de la communauté sont une ressource missionnaire. Quand ils comprennent que l’on compte sur eux pour faire usage de leurs dons, de leurs initiatives, et de leur compétences, leur sens des responsabilités est éveillé. C’est comme s'ils avaient seulement attendu une telle occasion pour s’impliquer et améliorer les activités de l’Église.


En associant leurs initiatives, leurs dons, leurs compétences à une vision commune, on obtient un élan missionnaire puissant! De plus, le modèle de croissance intégrale engage les membres de la communauté chrétienne dans une formation continue pour grandir et acquérir de nouveaux talents et de nouvelles compétences. Tant que l’on permettra aux membres de grandir, de se développer, ils estimeront qu’ils ont une vraie place dans l’Église. Et cela signifie que la communauté sera vraiment sur le chemin de la croissance.


Avant de terminer ce chapitre citons quelques retombées positives de la délégation des tâches et du pouvoir[34] :


  • Une plus grande satisfaction d’appartenir à la communauté chrétienne;
  • Une mentalité qui passe du « je dois » au « je veux »;
  • Un plus grand engagement dans la mission;
  • Une meilleure communication entre les membres et les responsables de la communauté;
  • Un processus de prises de décisions dans la confiance;
  • Une amélioration de la qualité des activités de l’Église;
  • Une Église plus dynamique;
  • Des responsables de communauté moins débordés, aidés et soutenus par des équipes;
  • Une multiplication des actions d’aide et de solidarité dans le milieu.


Le tableau suivant donne une vue d’ensemble du processus à suivre pour mettre sur pied le modèle de croissance intégrale. Il est aussi un résumé de ce qui précède.


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L’élément le plus important dans la mise en place progressive du modèle de croissance intégrale est la volonté des dirigeants d’assurer personnellement la mise en place du modèle, mais aussi la réelle volonté de déléguer leurs tâches et de renoncer à tout contrôler[35]. S’ils ne se présentent pas comme les personnes les plus motivées par le projet, les membres de l’Église ne suivront pas et s’ils hésitent à déléguer les tâches et à confier de vraies responsabilités c’est qu’ils manquent de confiance envers les équipes. Un bon encadrement est nécessaire au début et les animateurs des équipes ont besoin d’une bonne formation, mais celle-ci a justement comme but de permettre l’autonomie des équipes. Les responsables de communauté montrent le cap à suivre, encouragent et motivent, mais ne prennent pas les décisions à la place des personnes à qui ils ont confié des responsabilités.



NOTES

[26] Cf. C. LE BOEUF ET A. MUCCHIELLI, op. cit., pp. 108-109.

[27] Le sentiment de propriété est un des principes clés de ce que l’on appelle dans le monde de la gestion l’empowerment. Certains dirigeants souhaitent que leurs employés aient le sentiment que l’entreprise leur appartient afin que ces derniers soient plus motivés dans leur travail. Ce sentiment de propriété est applicable à l’Église car les chrétiens sont l’Église et ce sont leurs contributions qui ont permis d’ériger les édifices. La séparation clercs-laïc et le contrôle des églises par les clercs est une situation qui n’est pas propice à l’engagement de l’ensemble des membres des communautés locales dans la mission.

[28] K. Blanchard, J. P. Carlos, W. A. Randolph, op. cit., p.47.

[29] Cf. ibid., p.47.

[30] Ibid., p.96.

[31] K. Blanchard, J. P. Carlos, W. A. Randolph, op. cit., p.97.

[32] Né à Saint-Anselme (Québec), Jean-Paul Audet fit des études au Collège Dominicain à Ottawa et à l’Institut d’Égyptologie d’Oxford, puis à l’Université Saint-Thomas d’Aquin et enfin à l’Institut Biblique Pontifical de Rome et à l’École Biblique et Archéologique française de Jérusalem. En 1958, il publia un livre qui est devenu un classique dans les études sur les origines du christianisme : La Didachè. Instruction des Apôtres (Paris, Gabalda, 1958). Il fut, entre autres lieux, professeur à l’Université de Montréal. En 1970, il reçu le Prix Molson du Conseil des Arts du Canada pour l’ensemble de son œuvre.

[33] J.-P. AUDET, op. cit., p.38.

[34] Certaines de ces idées, reprises et adaptées, viennent du livre de K. BLANCHARD, J. P. CARLOS, W. A. RANDOLPH (p.123).

[35] Cf. K. BLANCHARD, J. P. CARLOS, W. A. RANDOLPH, op. cit., p.128.