4.1 L’Église paroissiale de Sant'Eustorgio en Italie

Don Pigi Perini est un prêtre italien, curé de la communauté paroissiale catholique de Sant'Eustorgio à Milan. Il a adopté la structure des cellules de maison pour mener à bien sa mission. Lorsqu’il fut nommé dans sa paroisse, la proportion de ceux qui fréquentaient la messe du dimanche était alors de douze pour cent. Formé au séminaire, on l’avait préparé au manque de réussite pastorale. Il avait théorisé l’échec : « L'un sème, l'autre récolte… » ; « pourvu que Jésus-Christ soit annoncé… » ; Beaucoup de petites phrases de la Bible, utilisées à contresens, venaient renforcer une mentalité de renoncement ascétique, le manque d'ambition pastorale était justifié par la pauvreté, l'humilité et les autres vertus évangéliques[1]!

Dans l’Église paroissiale voisine, c'était la même chose. Et bien qu’il ait été un jeune prêtre plein de vigueur, son enthousiasme s’est éteint et la routine l'a consumé. Il se réfugiait dans la culture, les homélies savantes et il ne voyait plus, dit-il, que cette culture, dans laquelle il vivait, était païenne. Cela dura un certain temps jusqu’à ce qu’il se trouve devant un choix intérieur : ou bien renoncer à sa vocation de prêtre ou retrouver une nouvelle vitalité et être à la suite de Jésus « pêcheur d’hommes »[2].

C’est alors qu’un prêtre d'origine canadienne, le Père Valeriano Gaudet, o.m.i., est venu chez lui. Il lui a montré un article d'une revue américaine, intitulé : « Paroisse en flammes ». Il s'agissait d'une paroisse de Floride, Saint-Boniface, où le curé, Michel Eivers, animait une communauté particulièrement vivante. Alors il s’est dit : « Allons voir si c'est vrai… ». Il y a trouvé des cellules de maison et une Église paroissiale qu’il n'osait rêver rencontrer, une Église paroissiale en croissance. Il y trouva une orientation fondamentale pour l'évangélisation, une hospitalité chaleureuse, l'adoration eucharistique de six heures à vingt-quatre heures et un grand nombre de ministères laïcs gérés par une structure organique. Le pasteur était à la tête de la communauté, mais il déléguait son autorité avec un grand respect des autres membres.[3]

Dans cette paroisse de Floride, les laïcs avaient une très bonne connaissance des Écritures Saintes, ils ouvraient la Bible comme un livre qu'on connaît et qu'on a toujours sous la main. La majorité (90%) verse la dîme. On y vit le baptême de l’Esprit et une louange vibrante[4]. La paroisse Saint-Boniface est fondée sur l'expérience charismatique. Mais ce n'est pas la chose la plus importante, dit-il, l'important c'est le renouvellement paroissial que les cellules apportent.

Les orientations de base de la paroisse sont les suivantes[5] :

- Les pasteurs de Saint-Boniface ont choisi l'évangélisation comme premier but.

- Ils ont mis sur pied une structure de cellules de maison.

- Ils ont mis l’accent sur la maison, le foyer, l'atmosphère.

- Ils ont élaboré un système pouvant gérer la multiplication des cellules.

Don Pigi a compris qu’il devait prêter une plus grande attention à ceux qui étaient étrangers, éloignés, indifférents à l’Église paroissiale. Le moment était venu pour lui de poser son regard pastoral sur ceux qui étaient en dehors de l’Église. Tant d’années il avait concentré toutes ses énergies et ses efforts sur les mêmes « habitués », toujours fidèles, toujours plus « choyés » et toujours plus réduits en nombre. Sa vision n'allait pas plus loin, elle ne percevait pas ceux qui n’étaient pas là! Pourtant c'est précisément dans ceux qui sont loin, dans ceux que l’on considère perdus, difficiles à rejoindre, indifférents que réside le potentiel de croissance d’une communauté chrétienne. Communiquer sa foi, annoncer Jésus, proclamer la Bonne Nouvelle, voilà les fruits de l’Église paroissiale, la clé de sa croissance et de son avenir[6]!

Mais Don Pigi s’est également rendu compte que ses seules forces ne suffiraient pas. En tant que prêtre, il lui était impossible de rejoindre tout le monde et il lui était surtout difficile de rejoindre les personnes là où elles vivent, au travail, à l'école, en famille ou dans les maisons. Il devait compter sur une Église moins cléricale, se fier à l'œuvre de l'Esprit Saint et compter, comme dans la communauté de Floride, sur les dons de tous les chrétiens. Il avait besoin de les encourager et de les motiver afin d'en faire des évangélisateurs, que ce soit au travail, à la maison, entre amis ou dans leurs immeubles. C'est là l'intuition de base des cellules de maison qu’il appelle cellules paroissiales d’évangélisation. On y invite les membres à témoigner dans leur propre milieu de vie (Oïkos)[7].

Quand Don Pigi est revenu chez lui à Sant'Eustorgio, il a présenté à sa communauté l’expérience de Saint-Boniface et proposé dans son Église paroissiale une formation à partir d'Evangelii nuntiandi[8]. Puis il a choisi des laïcs et leur a proposé une formation de responsables de cellule paroissiales d’évangélisation. Cette formation dura six semaines. Petit à petit, ils sont passés de quatre cellules provisoires à quatorze et leur nombre a progressivement augmenté[9]. Il y a actuellement plus d'une centaine de cellules, dont une trentaine composées uniquement de jeunes et de très jeunes, pour un total de plus d'un millier de personnes[10]. Mais, précise-t-il, la communauté n’est pas seulement « cellulaire », elle est aussi eucharistique, tous sont invités à vivre la célébration de la Messe.

Comme dans l’Église du pasteur Cho, les cellules sont composées de dix à quinze personnes qui se réunissent chaque semaine dans une maison privée. Jésus y est présenté comme Seigneur, c’est-à-dire qu’il est appelé à devenir la personne la plus importante de notre vie, le maître de notre existence, qui devrait être servi d’esprit, de cœur, dans sa famille et dans son travail, dans ses vacances et dans ses temps libres[11]. Un temps est réservé durant la rencontre à l'écoute d'un enseignement hebdomadaire préparé par le curé et distribué par cassettes à toutes les cellules. Ainsi chaque cellule écoute le même enseignement, suit le même cheminement et se nourrit de la même Parole.

Les membres apprennent à prier en s’ouvrant à l'action de l'Esprit Saint. Ils cherchent à reconnaître la présence de Jésus dans leur vie en devenant attentifs aux signes concrets de son amour. Ils apprennent à écouter leurs frères, à faire silence en eux-mêmes pour l'accueillir. Ils font l'expérience de l'amour fraternel, ils partagent leurs difficultés, ils se soutiennent pour surmonter leurs doutes. Pour de nombreux frères et sœurs, une cellule est une première expérience de vie communautaire qui les prépare à s'insérer pleinement dans la communauté paroissiale[12]. Les responsables des cellules sont choisis avec soin par le curé et formés afin de bien remplir leur tâche. Les différentes étapes des rencontres de cellules sont les suivantes : Prières spontanées de louange, partage sur ce qui a été vécu dans la semaine, enseignement, réaction des participants, information sur la vie paroissiale, prière d’intercession et prière de guérison[13].

De la connaissance personnelle du Christ vivant surgit, chez les membres de la cellule, le désir de partager et de proclamer leur expérience aux personnes qui leur sont les plus proches, à celles qu'ils rencontrent habituellement et qui, d'une manière bien concrète, font partie de leur vie. C’est pourquoi les cellules grandissent, leurs membres sont « pêcheurs », au sens évangélique. Ils parlent de Jésus dans leur milieu de vie, ils témoignent de lui par un changement de leurs goûts et de leurs priorités, ils partagent l'expérience de l'amour gratuit, fidèle, miséricordieux, personnel, de Dieu[14]. Ils témoignent dans la famille, au travail ou à l'école, aux amis, à leurs voisins, en un mot : dans leur oïkos, le milieu dans lequel se déroule leur vie quotidienne. De cette façon l'autre n'est plus appelé à rester un étranger : des vies se rencontrent et de nouveaux liens s'établissent.

Les cellules sont profondément insérées dans le contexte paroissial et en lien avec le pasteur. Elles coexistent avec toutes les autres réalités présentes dans la paroisse qui continuent à fonctionner, même si, indubitablement, ces dernières ont trouvé de nouvelles bases, de nouvelles énergies et un nouvel enthousiasme. À travers une structure précise : leaders de cellule, leaders de section, leaders territoriaux, cellule exécutive, le curé est capable de connaître ce qui arrive dans chacune des rencontres de cellules. Il est au courant des principaux problèmes qui peuvent surgir, de l'arrivée de nouvelles personnes, des merveilles que le Seigneur accomplit, de l'orientation et du cheminement des membres, de sorte que, même s'il n'est pas physiquement présent, il peut suivre le déroulement de l’évangélisation[15].

Grâce aux cellules, dit-il, sa paroisse est devenue une vraie famille, une maison fraternelle et accueillante. Toute personne en son sein y trouve sa place, une attention personnelle à ses besoins, à ses dons, à ses limites, ses désirs, à l'instar d'un père qui s'occupe de chacun de ses enfants pris individuellement. Sa communauté chrétienne est devenue le lieu où chacun peut faire l'expérience de l'amour et se rendre compte combien grande est sa capacité de donner et de recevoir. On peut y partager ses joies, ses souffrances, ses doutes et ses découvertes, dans la certitude d'y trouver de la compréhension, un accueil et des réponses. Elle est devenue le lieu de la rencontre avec Dieu où l’on apprend et l’on enseigne à prier, à louer, à communiquer son expérience de Jésus. Le Seigneur y accomplit des merveilles, et il renouvelle continuellement son alliance avec son peuple[16].

Même s’il met beaucoup l’emphase sur les cellules pour l’œuvre de l’évangélisation, le prêtre italien, parle aussi de l’importance de former les chrétiens de sa communauté. Les former d’abord à la prière; une prière ardente, qui ne soit pas formaliste, mais qui prenne vie dans la parole de Dieu, la liturgie et la contemplation : Nous exhortons les évangélisateurs quels qu'ils soient à prier sans cesse l'Esprit Saint avec foi et ferveur et à se laisser prudemment guider par lui comme l'inspirateur décisif de leurs plans, de leurs initiatives, de leur activité évangélisatrice[17]. Il explique à ses paroissiens qu’on ne peut assurer une transmission authentique de la foi que si on en fait l’expérience personnelle. La foi doit être accueillie comme une réalité vécue qui soit transformante[18]. Il souhaite faire naître dans le cœur des chrétiens le désir de grandir dans une relation personnelle avec Dieu dans la prière, l'écoute personnelle de la Parole, la participation aux sacrements, l'accompagnement spirituel, la catéchèse et l’implication communautaire : Dieu donnera certainement le don de la foi à qui le cherche de tout son cœur : de ce don reçu le croyant pourra et saura en témoigner[19].

Don Pigi souhaite aussi donner aux membres de sa communauté le souci de ceux qui ne sont pas là, le désir de se faire proches, de créer des liens et de rendre service. Avant d'être une annonce dans l'Esprit, une manifestation de puissance, le mystère du salut annoncé aux êtres humains a été amour et service[20] : Celui qui pratique le service au nom de Jésus doit rechercher les exigences et les problèmes du frère que le Seigneur appelle à évangéliser. « Cherche la plaie et soulage-la ! » est une devise qui semble bien exprimer cette méthode[21]. Voir les blessures intérieures, les attentes et les aspirations de notre prochain et essayer d’y répondre. Créer des liens, entrer en relation, donner de son temps, de son sommeil, de sa tranquillité, et parfois même de son argent, afin que celui qui reçoit se rende compte à quel point on est prêt à s'engager pour lui et ceci d’une manière gratuite et désintéressée. Il sera alors profondément interpellé et disposé à écouter notre témoignage et à y croire[22].

Le souci de Don Pigi est aussi de former les membres de son Église paroissiale à témoigner. Il cite la parole de Jésus au Gérasénien dans l’Évangile de Marc : « Va chez toi, auprès des tiens, et rapporte-leur tout ce que le Seigneur a fait pour toi dans sa miséricorde » (Mc 5:19). Il cite aussi la Samaritaine qui témoigne dans son village, amenant ses habitants à écouter Jésus et croire en lui (Cf. Jn 4). Ces deux personnages ont été des témoins efficaces parce qu’ils ont fait l'expérience de la puissance de Jésus et de sa miséricorde[23]. Une catéchèse peut apprendre à évangéliser et aider les chrétiens à se perfectionner, mais il faut avant tout leur faire vivre, dans un processus continu, l’expérience de Jésus vivant et agissant dans ce monde ; c’est de cela qu’ils pourront témoigner. Ni la capacité des moyens de communication, ni la propagande ne pourront déclencher l'accueil de l'Évangile, pas plus que les discours radicaux ou savants ne pourront convertir les cœurs[24] (Cf. 1Co 2:1-5), ni même les « bons » chrétiens, ceux qui le sont apparemment depuis toujours, mais qui n'ont jamais expérimenté dans leur vie de changements réels et de conversions sincères… Évangéliser n'est pas la même chose que convaincre, il ne s'agit pas d'aider quelqu'un à parvenir à une compréhension intellectuelle de l’Évangile. L'évangélisation est le témoignage de ce que Jésus a fait pour eux dans leur vie, elle est le témoignage de la joie qui leur a été donnée par l'Évangile, de la transformation qui est survenue suite à leur rencontre avec le Sauveur[25]. Celui qui a été évangélisé deviendra plus facilement un évangélisateur; un converti saura aider plus efficacement d'autres personnes dans leur cheminement de conversion[26].


NOTES:

[1] G. Macchioni, Évangéliser en paroisse : L’expérience des Cellules Paroissiales d’Évangélisation, 2e édition, Nouan-le-Fuselier, Editions Pneumathèque, 1996, p. 8.

[2] Cf. ibid., p. 9.

[3] Cf. ibid., p. 10.

[4] Cf. ibid., p. 11.

[5] Cf. ibid., p. 12.

[6] Cf. ibid., p. 20.

[7] Cf. ibid., pp. 20-21.

[8] Evangelii Nuntiandi est l’exhortation apostolique L’évangélisation dans le monde moderne de Paul VI (1975).

[9] Cf. ibid., p. 14.

[10] Cf. ibid., p. 22.

[11] Cf. ibid., p. 17.

[12] Cf. ibid., p. 20.

[13] Cf. ibid., pp. 110-116.

[14] Cf. ibid., p. 19.

[15] Cf. ibid., pp. 21-22.

[16] Cf. ibid., p. 16.

[17] Paul VI, Evangelii Nuntiandi (exhortation apostolique, l’évangélisation dans le monde moderne), Coll. L’Église aux quatre vents, Montréal, Fides, 1975, § 75.

[18] Cf. G. Macchioni,, op. cit. p. 77.

[19] Ibid., p. 78.

[20] Cf. ibid., p. 80.

[21] Ibid., p. 84.

[22] Cf. ibid., p. 84.

[23] Cf. ibid., p. 87.

[24] Ibid., p.88.

[25] Cf. ibid., p. 89.

[26] Ibid., p.89.