7.1.3 L’Église : signe d’efficacité ?

Aux yeux du monde, l’Église doit-elle être un signe d’efficacité ? Au niveau spirituel, l’Église est efficace avant tout parce qu’elle est le sacrement du Christ. Elle signifie le Christ et communique sa grâce ; grâce de réconcilier les êtres humains avec Dieu et de communiquer sa vie. Si l’Église doit être un signe, c’est bien celui du Christ, et du Christ en action. L’Église continue la mission de Jésus et ses membres devraient agir comme le Christ a agi sur terre.

L’Évangile et le sens commun ne nous invitent pas à imaginer Jésus fondant et faisant grandir un royaume terrestre. L’exemple laissé par Jésus est celui d’être avec les pauvres, de guérir les malades, d’enseigner le chemin du salut et de même donner sa vie par amour. Des langes de sa nativité (Cf. Lc 2:7) jusqu’au vinaigre de sa passion (Cf. Mat 27:48) et au suaire de sa Résurrection (Cf. Jn 20:7), tout dans la vie de Jésus est signe de salut et d’amour.

Il s’occupait des pauvres, des exclus et des souffrants sans rejeter les riches. Il ne se fiait pas aux apparences et savait voir où était la vraie souffrance et la vraie pauvreté pour y remédier. Il ne combattait pas les riches et les puissants comme s’ils étaient un clan auquel il faudrait s’opposer. C’est le péché qu’il combattait en enseignant que la vraie pauvreté, la vraie exclusion, la vraie souffrance est celle causée par la séparation d’avec Dieu et le manque d’amour des êtres humains en eux.

Comme « instrument », Jésus a choisi l’Église. « Entre ses mains elle est l’instrument de la Rédemption de tous les hommes » (LG 9), elle est « le sacrement universel du salut » (LG 48), Elle est aussi, comme l’a dit Paul VI dans son discours du 22 juin 1973, le projet visible de l’amour de Dieu pour l’humanité . L’efficacité que l’Église devrait donc rechercher est d’être « manifestation et actualisation de l’amour de Dieu pour les hommes » (Cf. GS 45 # 1). L’efficacité de l’Église a sa source dans le cœur transpercé de Jésus mort sur la Croix. Cette efficacité surnaturelle est communication d’amour et de vie passant par le don de soi aux autres. Et c’est avant tout de ce don que résulte la croissance ecclésiale signifiée par le sang et l’eau sortant du côté ouvert de Jésus crucifié (Cf. LG 3).

Si les membres d’une Église veulent chercher à être efficaces, c’est avant tout dans ce sens-là. Être efficace pour signifier, le don de soi : aimer jusqu’à donner sa vie, sachant que si on devait perdre sa vie, Dieu est assez puissant pour la faire retrouver (Cf. Heb 11:17). Cette perspective invite à la confiance en Dieu et peut sembler contraster avec l’approche du Mouvement de la croissance des Églises qui invite les communautés chrétiennes à tout faire pour survivre et pour croître. Pourtant les chrétiens ne devraient pas agir en fondant leur action sur la peur de disparaître (physiquement). Au contraire, l’éventualité de leur disparition peut être courageusement acceptée sans que cela signifie l’échec de la mission: Qui veut en effet sauver sa vie la perdra mais qui perdra sa vie à cause de moi la retrouvera (Mat 16:25). Comme disait Tertullien : le sang des martyrs est une semence de chrétiens (Tertullien, apol. 50).

L’Église n’a donc pas d’abord à être un signe d’efficacité en termes numériques mais d’efficacité en termes d’amour, de don de soi. Jésus agissait par amour, pour apporter un salut qui n’était pas seulement eschatologique, mais aussi temporel en guérissant les malades et en dénonçant les injustices sociales et religieuses de son temps. Il a été jusqu’à donner sa vie, c’est-à-dire jusqu’à disparaître pour accomplir sa mission. Il n’a pas tout fait pour conserver sa vie. L’apôtre Pierre s’est d’ailleurs fait reprendre sévèrement pour avoir essayé de le détourner de cette fin qui peut paraître un échec aux yeux humains.

Si ce qui précède peut sembler diminuer l’importance à accorder à la recherche numérique dans l’Église, la visibilité de l’Église ne devrait pas pour autant être sous-estimée. Il existe un lien intime entre l’efficacité et le rassemblement visible de l’Église. En effet, le mystère du salut, dont l’Église est le signe, n'est réellement effectif dans le monde que s'il est accueilli dans la foi et attesté publiquement. L'Église, communauté visible des croyants, est un élément constitutif de la volonté de salut de Dieu. Elle est signe visible, en tant qu'elle est advenue de façon effective, qui actualise le salut de Dieu en Jésus-Christ et le moyen permettant de transmettre ce salut à tous les êtres humains[21] :

L'application du concept de sacrement à l'Église opère surtout une détermination du rapport entre le visible et l'invisible dans l'Église qui est au-delà de tout spiritualisme et de tout naturalisme ou sociologisme. Si l'Église est le signe accompli du salut eschatologique, cela signifie à la fois l'unité et la distinction entre la forme visible (institution) et le contenu de son témoignage[22].

Nous pouvons maintenant affirmer que la poursuite d’efficacité est actualisante pour les membres d’une Église et qu’elle devrait rester, dans une certaine mesure, critère de l’action dans l’accomplissement de la mission. Mais pour être en harmonie avec l’Esprit de l’Évangile, elle doit être recherchée d’abord au niveau de l’amour avant celui de l’organisation et des résultats visibles.


NOTES

[21] Cf. W. Kasper, La Théologie et l’Église, Paris, Cerf, 1990, p. 356.

[22] Ibid., p. 356.