7.2.3 Utilité de la vie et sens de la vie

Il est possible, d’après Frankl, de trouver un sens à l'existence, même dans une situation désespérée. Il faut alors faire appel au potentiel le plus élevé de l’être humain, pour transformer une tragédie personnelle en victoire, une souffrance inévitable en réalisation humaine. Frankl cite l’exemple d’un médecin d'un certain âge qui vint le consulter parce qu'il souffrait d'une grave dépression. Il ne pouvait se remettre de la mort de sa femme, qu'il avait aimée plus que tout. Il lui posa la question suivante : « Et si vous étiez mort le premier et que votre femme ait eu à surmonter le chagrin provoqué par votre décès? — Oh! pour elle, ç'aurait été affreux; comme elle aurait souffert! — Eh bien, docteur, cette souffrance lui a été épargnée, et ce, grâce à vous. Certes, vous en payez le prix puisque c'est vous qui la pleurez.» Il ne dit rien, mais me serra la main et quitta mon bureau calmement. La souffrance cesse de faire mal au moment où elle prend une signification[34].

Frankl se rappelle aussi d'un camarade de camp qui, à son arrivée, avait conclu un pacte avec le ciel. Il offrait sa souffrance et sa mort pour sauver d'une fin douloureuse l'être qu'il aimait. Sa souffrance et sa mort avaient ainsi pris un sens, son sacrifice avait une signification profonde. Il ne mourrait pas en vain[35]. Il rappelle aussi le geste du prêtre Polonais Maximilien Kolbe qui donna sa vie pour sauver un père de famille. Lui-même fut un jour confronté à ce choix moral où sa vie était en jeu. Il avait l’occasion de s’échapper du camp, mais il préféra rester pour soigner les malades. Sa décision lui procura une paix intérieure qu’il n’avait encore jamais connue.

La façon dont un être humain accepte son sort et toute la souffrance que cela implique, la manière dont il porte sa croix, lui donnent amplement l'occasion—même dans les circonstances les plus difficiles—de donner un sens plus profond à sa vie[36].

Dans la vie de tous les jours, nous sommes aussi confrontés à des choix qui peuvent soit nous faire régresser en dignité soit nous faire croître humainement et spirituellement. Il s’agit du choix entre le bien et le mal, entre la vérité et le mensonge, entre la générosité et l’égoïsme. Lorsque l’on fait un choix en faveur de valeurs humaines et spirituelles, il peut s’accompagner d’une perte apparente ou d’un sacrifice. Mais cette perte a un sens car elle nous conduit sur le chemin d’un accomplissement humain plus grand.

Tout homme peut, même dans des circonstances particulièrement pénibles, choisir ce qu'il deviendra —moralement et spirituellement. On peut garder sa dignité dans un camp de concentration (…) C'est cette liberté spirituelle—qu'on ne peut nous enlever—qui donne un sens à la vie[37].

Dans les camps, ce sont les personnes qui perdaient pied moralement et spirituellement qui succombaient aux mauvaises influences du camp. Seuls quelques prisonniers surent préserver leur liberté spirituelle et s'élevèrent jusqu'à ces valeurs, mais de tels personnes ne se trouvent pas seulement dans les camps de concentration. Chacun d’entre nous est confronté au destin; partout nous avons l'occasion de choisir et de nous accomplir même à travers la souffrance qu’implique un choix moral. Notre lutte et notre vie sont alors empreintes de dignité et de sens[38].

Si la recherche de croissance numérique et d’efficacité en Église est vécue comme une réalisation égoïste de soi, même si c’est au niveau communautaire, elle ne peut offrir de sens. L’enseignement de Frankl nous apprend que le sens de la vie se manifeste lorsque nous sommes tournés vers les autres même au prix de grands sacrifices. Le but de l’Église ne peut être sa propre croissance mais plutôt le bien de ses membres et de ceux qui n’en font pas partie.


NOTES

[34] Ibid., p. 121.

[35] Ibid., p. 98.

[36] Ibid., pp. 82-83.

[37] Ibid., p. 82.

[38] Cf. ibid., pp. 82-97.