8.2.1 L’engagement pour la justice sociale et la théologie de la libération

La théologie de la libération a le mérite de rappeler que l’amour doit porter l'Église à se soucier du bien temporel des êtres humains. La mission chrétienne ne peut s’envisager sans que les chrétiens contribuent au bien de la société, fassent la promotion de la justice, de la paix et de la fraternité entre les humains, prodiguent leur aide à leurs frères, surtout aux plus pauvres et aux plus malheureux. Guidée par l'Évangile de la miséricorde, ils devraient entendre la clameur pour la justice et y répondre. L’aspiration à la libération ne peut pas ne pas trouver un large et fraternel écho dans leur cœur et dans leur esprit et le combat pour les droits de l'homme constitue un authentique combat pour la justice.

La théologie de la libération est née dans les pays d'Amérique latine puis s’est répandue dans d'autres régions du tiers monde. L'expression « théologie de la libération » désigne une préoccupation privilégiée, génératrice d'engagement pour la justice, portée aux pauvres et aux victimes de l'oppression[10]. Elle est centrée sur le thème biblique de la libération et de la liberté et sur l'urgence de ses incidences pratiques. On y distingue au moins trois niveaux : libération politique, libération de l'homme au long de l'histoire, libération du péché et entrée en communion avec Dieu. Ces niveaux se conditionnent mutuellement sans se confondre : l'un ne se réalise pas sans l'autre, mais ils sont distincts; ils font partie d'un processus de salut unique et global[11].

En fait, il y a différentes théologies de la libération qui recouvrent des positions théologiques diverses; leurs frontières doctrinales sont mal définies. Il en existe en Inde, au Sri Lanka, aux Philippines, à Taïwan et en Afrique. Elles ont souvent leur origine dans une expérience d’oppression et d’humiliation. Et les combats des pauvres et des marginaux pour retrouver leur dignité humaine, accéder à la liberté et à la justice, sont une de leurs caractéristiques.

Les théologies de la libération mettent en lumière qu’il y a une relation étroite entre le progrès temporel de ce monde et la mission de l’Église. Pour Jésus, la volonté sans équivoque de Dieu est l'instauration du Royaume. Quand la justice est rendue aux malheureux, aux déshérités, aux opprimés; lorsque sont recréés les liens de fraternité, de concorde, de partage, de respect de la dignité inviolable de l'être humain, le Royaume de Dieu s’établit dans notre monde. Il en est ainsi aussi lorsque, dans la société, s'établissent des structures sociales qui empêchent l'être humain d'exploiter ses semblables, qui permettent de dépasser les relations de maître à esclave et qui favorisent plus de justice. Mais ce travail de libération exige le renoncement et parfois le don de sa propre vie jusqu'au martyre[12].

Il est judicieux de reconnaître les éléments positifs du modèle missionnaire des théologies de la libération même s’il n'est ni déraisonnable, ni déloyal de reconnaître que certains de ses théologiens ont adopté une position marxiste fondamentale[13] soulevant ainsi des problèmes pratiques et théologiques délicats... Mais le but de notre réflexion et de nos propos n’est pas d’entrer plus profondément dans ce débat théologique mais de reconnaître qu’il est impossible de concevoir le Royaume de Dieu seulement spirituellement comme cela semble parfois le cas dans le MCE.

L’engagement pour le Royaume doit être tourné vers la praxis; il nous invite à travailler dans la réalité historique qui nous entoure et de la transformer. Il nous invite à dépasser les dualismes entre le corps et l'âme, entre naturel et surnaturel, entre immanence et transcendance, entre présent et avenir. Le démantèlement de ces dualismes permet aussi de voir que l’Église peut travailler à l’avènement du Royaume de la justice et de la paix sans forcément tomber dans un messianisme temporel ou dans une Église de classes qui réduirait la croissance du Royaume au progrès de la justice. Réaliser la mission de l’Église implique, dans de telles perspectives, une participation aux luttes pour un changement social, économique et politique.



NOTES

[10] CONGRÉGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI, « Instruction sur quelques aspects de la “théologie de la libération” », dans Théologies de la libération : Documents et débats, Paris, Cerf/Centurion, 1985, p. 159.

[11] G. GUITÉRREZ, Théologie de la libération, Bruxelles, Éditions Lumen Vitae, 1974, p. 185.

[12] Cf. L. BOFF, Le Notre Père, Une prière de libération intégrale, p. 85.

[13] Cf. CARDINAL RATZINGER, « Les conséquences fondamentales d’une option marxiste » dans Théologies de la libération : Documents et débats, Paris, Cerf/Centurion, 1985, p. 121.