8.5 Le modèle des Missionnaires de la Charité

Un autre modèle qui permet d’éclairer la problématique est celui de la communauté des Missionnaires de la Charité fondée par Mère Térésa. Ce modèle vient éclairer la question du sens dans l’action pastorale et missionnaire. Si une mission entreprise sous l’angle d’une recherche numérique n’a que peu de sens à offrir à la lumière de l’Évangile, l’action des Sœurs de Mère Térésa interpelle si profondément que des personnes du monde entier et de toutes les religions ont rendu hommage à cette sainte et des jeunes femmes laissent encore tout pour s’engager à sa suite.

L’option première des Missionnaires de la Charité n’est pas de croître numériquement ni d’évangéliser mais d’aider les plus pauvres. Leur action est missionnaire au sens le plus fort du terme. Elle démontre une manière de comprendre la mission qui est, à mon avis pleine de sens et en accord profond avec l’Évangile. On ne se trompe pas en disant que le texte biblique qui fonde leur mission Matthieu 25:31-46[51] : En vérité je vous le dis, dans la mesure où vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait… Et bien que les Missionnaires de la Charité ne cherchent pas à proclamer la Bonne Nouvelle par leurs paroles, elles le font de manière magistrale par leurs actes.

Leur mission s’accomplit et se déploie dans la mise en pratique des deux plus importants commandements de la Loi : aimer Dieu et son prochain. Elles voient le prochain particulièrement dans le pauvre et le pauvre, pour elles, c’est Jésus. Elles cherchent à aimer Dieu dans l’abandonné, dans le souffrant, dans le mourant. Et ce faisant, elles annoncent au monde l’amour de Dieu sans grand discours ou grandes prédications.

J'ai assumé la charge de représenter les Pauvres du monde entier: les indésirables, ceux que personne n'aime, les rejetés, les victimes de mauvais traitements, les aveugles, les lépreux, les alcooliques, ceux qui sont en marge de la société, tous ceux qui en sont arrivés à oublier ce que sont la chaleur et l'affection humaines, le contact avec les autres. (…) Je ne toucherais jamais un lépreux parce qu'on m'offrirait un milliard. Mais je le fais gratuitement et de bon cœur pour l'amour de Dieu. (…) Ceux qui, aujourd'hui, ignorent et repoussent les Pauvres continuent à ignorer et à repousser le Christ. Les Pauvres nous font honneur en nous permettant de les servir[52].

Si l’annonce de l’amour de Dieu se fait surtout par les actes de charité et de solidarité envers les pauvres, Mère Térésa elle-même témoignait quand même de Dieu par ses paroles lors de témoignages en répondant à des invitations, mais cela représentait une épreuve :

Les invitations à parler en public me parviennent de tous côtés et se succèdent sans interruption. Cela constitue pour moi une véritable épreuve. J'aimerais mieux qu'on ne me le demande pas[53].

La finalité des Missionnaires de la Charité n’est pas d’annoncer verbalement la Bonne Nouvelle ni de s’organiser pour croître. Leur but est tout simplement d'aimer Jésus. Celui-ci est vu autant dans le pauvre que dans l’eucharistie. L’eucharistie a été pour Mère Térésa un soutien, un secours. Elle ne vivait pas de séparation entre sa prière et son apostolat envers les pauvres.

L'aliment spirituel qui me soutient, c'est la messe. Sans ce secours, je n'arriverais pas à tenir une journée, ni même une heure. À la messe, Jésus est présent devant nous sous l'apparence du pain; dans les quartiers pauvres nous Le voyons et nous Le touchons dans les corps meurtris, aussi bien que dans les enfants abandonnés. (…) Si l'Eucharistie nous présente le Christ sous les apparences du pain, et la misère sous celle des Pauvres, je sais bien que l'Eucharistie et les Pauvres ne sont autre chose qu'un seul et même amour. Nous saurons seulement au ciel mesurer ce que nous devons aux Pauvres, qui nous donnent l'occasion de mieux aimer Dieu en leur personne[54].

Le but des Missionnaires de la Charité est de ne vivre que pour Jésus dans le pauvre mais l’annonce de la Parole a aussi son importance. Mère Térésa écrit : Jésus, pour moi, c'est (…) la Parole qui doit être annoncée, la Vérité qui doit être transmise, la Voie que nous devons suivre…[55]. Leur action ne vise aucunement à rassembler du monde sinon les abandonnés pour leur donner un logis et les agonisants pour leur permettre de mourir dans la dignité (Lc 14:13-14[56]). Cela représente un contraste avec l’action missionnaire du MCE. Pourtant qui oserait dire que les sœurs missionnaires de la Charité ne vivent pas l’Évangile[57]? Mère Teresa laissa tout pour aller vivre dans les taudis et de nombreuses femmes l’ont suivi parce qu’elle symbolisait l’amour en acte et une vie chrétienne pleine sens et de cohérence avec l’Évangile.

Au mois de mars 1949, précisément le jour de la Saint-Joseph, j'entendis frapper à ma porte. J'eus la surprise de me trouver devant une de mes anciennes élèves, une jeune fille d'aspect fragile. Elle me déclara: - Ma Mère, je suis venue pour rester avec vous[58].

Leur mission est profondément chrétienne et veut témoigner du Christ agissant par elles. Leur raison d'être, explique Mère Térésa, est d’apporter le Christ dans les foyers et d’amener les êtres humains au Christ. Elle est fondée sur l'amour de Jésus. Les Missionnaires de la Charité agissent au nom de Dieu, envoyées par lui, pour être des preuves vivantes de son amour, pour le monde et pour les Pauvres en particulier[59].

L’amour de Dieu est premier. Elles ne s’organisent pas pour croître numériquement mais pour aller au-devant des plus souffrants. Elles prouvent au monde que Dieu est amour et elles prouvent à Dieu leur amour en l’actualisant dans des actes concrets, au service des plus pauvres des pauvres (Ja 2:15-17[60]).

Les Missionnaires de la Charité sont des missionnaires de l'amour et de la compassion. Elles visent à en être pénétrées et à le répandre chez les autres, qu'ils soient chrétiens ou non. Le modèle des Missionnaires de la Charité fait de l’amour de Dieu dans le pauvre le cœur de la mission; il est proche du modèle ecclésial de la missio Dei. De même que Jésus a été envoyé par son Père, de même les Missionnaires de la Charité sont envoyées pour proclamer l’Évangile d'amour et de la compassion.

Les sœurs de Mère Térésa sont réellement des missionnaires car elles proclament l’Évangile par leurs actes et leur consécration totale. Elles sont des disciples authentiques qui ont tout laissé pour suivre leur maître (Lc 14:26-27[61]) et le faire connaître au monde : Notre principale mission doit être de faire connaître Jésus-Christ aux hommes de tous les peuples[62] explique Mère Térésa pour qui il est l'unique voie qui conduit au Royaume de Dieu[63].

Les missionnaires de la Charité considèrent que leur devoir est de travailler au salut des êtres humains; elles le font en posant des gestes d’amour, en soignant, en nourrissant les affamés, en vêtissant et en consolant les affligés, en visitant les abandonnés (Cf. Mat 25:31-46). Tout ce qu’elles font - prier, travailler, c'est pour Jésus dans le pauvre. Sans Lui, leur vie n’a pas de raison d'être[64]. C’est Jésus qui est le sens de leur vie. Et c’est parce qu’elles ont une vie pleine de sens qu’elles ne laissent personne indifférent. Elles sont efficaces dans leur manière d’aimer et d’observer l’Évangile à la lettre.


NOTES

[51] Mat 25:31-46 : Quand le Fils de l'homme viendra dans sa gloire, escorté de tous les anges, alors il prendra place sur son trône de gloire. Devant lui seront rassemblées toutes les nations, et il séparera les gens les uns des autres, tout comme le berger sépare les brebis des boucs. Il placera les brebis à sa droite, et les boucs à sa gauche. Alors le Roi dira à ceux de droite : "Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume qui vous a été préparé depuis la fondation du monde. Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger, j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire, j'étais un étranger et vous m'avez accueilli, nu et vous m'avez vêtu, malade et vous m'avez visité, prisonnier et vous êtes venus me voir. " Alors les justes lui répondront : "Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé et de te nourrir, assoiffé et de te désaltérer, étranger et de t'accueillir, nu et de te vêtir, malade ou prisonnier et de venir te voir ?" Et le Roi leur fera cette réponse : "En vérité je vous le dis, dans la mesure où vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait. " Alors il dira encore à ceux de gauche : "Allez loin de moi, maudits, dans le feu éternel qui a été préparé pour le diable et ses anges. Car j'ai eu faim et vous ne m'avez pas donné à manger, j'ai eu soif et vous ne m'avez pas donné à boire, j'étais un étranger et vous ne m'avez pas accueilli, nu et vous ne m'avez pas vêtu, malade et prisonnier et vous ne m'avez pas visité. " Alors ceux-ci lui demanderont à leur tour : "Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé ou assoiffé, étranger ou nu, malade ou prisonnier, et de ne te point secourir ?" Alors il leur répondra : "En vérité je vous le dis, dans la mesure où vous ne l'avez pas fait à l'un de ces plus petits, à moi non plus vous ne l'avez pas fait. " Et ils s'en iront, ceux-ci à une peine éternelle, et les justes à une vie éternelle.

[52] J. L.Gonzalez-Balado et J.Playfoot, Mère Teresa par elle-même, Éditions Médiapaul, 1994, p. 140.

[53] Ibid., p. 147.

[54] Ibid., pp. 140-141.

[55] Ibid., pp. 150-151.

[56] Lc 14:13-14 : Mais lorsque tu donnes un festin, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles ; heureux seras-tu alors de ce qu'ils n'ont pas de quoi te le rendre ! Car cela te sera rendu lors de la résurrection des justes.

[57] Il m’est arrivé de demander à un chrétien très opposé aux catholiques s’il considérait que Mère Thérésa faisait le bien. Il me répondit : « ce que faisait Mère Térésa venait du diable ! ». Je ne peux m’empêcher de faire le parallèle avec les Pharisiens qui, voyant Jésus faire le bien, guérir les malades et chasser les démons, l’accusait d’agir par Béetzébub….(Mc 3:23ss)

[58] J. L.Gonzalez-Balado et J.Playfoot, op. cit., p.25.

[59] Ibid., p.28.

[60] Jc 2:14-17 : À quoi cela sert-il, mes frères, que quelqu'un dise : " J'ai la foi ", s'il n'a pas les œuvres ? La foi peut-elle le sauver ? Si un frère ou une sœur sont nus, s'ils manquent de leur nourriture quotidienne, et que l'un d'entre vous leur dise : " Allez en paix, chauffez-vous, rassasiez-vous ", sans leur donner ce qui est nécessaire à leur corps, à quoi cela sert-il ? Ainsi en est-il de la foi : si elle n'a pas les œuvres, elle est tout à fait morte.

[61] Lc 14:26-27 : Si quelqu'un vient à moi sans haïr son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs, et jusqu'à sa propre vie, il ne peut être mon disciple. Quiconque ne porte pas sa croix et ne vient pas derrière moi ne peut être mon disciple.

[62] J. L.Gonzalez-Balado et J.Playfoot, op. cit., p.41.

[63] Ibid., p.41.

[64] Cf. ibid., p.41.