8.3 Les Églises pentecôtistes


Pour mieux comprendre la place à accorder à la recherche de croissance numérique dans l’Église, il est une autre expérience qui apporte des éléments intéressants. Il s’agit des Églises pentecôtistes d’Amérique Latine dont le développement a été phénoménal ces dernières années. Ce modèle met en avant la place à accorder à l’action de l’Esprit Saint dans l’agir pastoral missionnaire et il rappelle une vérité essentielle de la parole de Dieu : l’Église est envoyée dans le monde pour guérir les malades et chasser les démons. Il rappelle la dimension charismatique de l’apostolat et présente les miracles opérés par l’Esprit comme un élément constitutif et essentiel de la mission chrétienne.


Si plusieurs des Églises présentées dans la première partie ont une approche de type charismatique[23], le Mouvement de la croissance des Églises et les Églises pentecôtistes ou charismatiques n’ont pas toujours fait bon ménage. Dans ses écrits, McGavran s’est peu étendu sur le rôle de l’Esprit dans la croissance numérique, sauf indirectement en parlant du renouveau de la communauté chrétienne. Mais Peter Wagner, qui lui succéda comme porte-parole du MCE, prit position en faveur de l’approche charismatique. Il créa, une véritable onde de choc dans les milieux évangéliques : on pensait qu’il était devenu pentecôtiste[24].


Ce qui caractérise le MCE et les Églises présentées au début de la première partie, c’est l’insistance sur l’évangélisation, c’est le souci des résultats chiffrés et de l’utilisation de la gestion pour favoriser la croissance des Églises. Et comme les Églises pentecôtistes d’Amériques du Sud ont connu une croissance numérique considérable, la curiosité et le pragmatisme de Peter Wagner furent piqués au vif. Il s’y intéressa et découvrit la place centrale des guérisons, des miracles et d’une liturgie joyeuse et spontanée pour favoriser la croissance numérique.


En fait, ce sont toutes les Églises protestantes d’Amérique latine qui ont connu une très forte croissance durant le 20e siècle. En 1900, il y avait environ 50000 protestants, en 1930 ils étaient un million; en 1960, 10 millions; en 1970, 20 millions, vers la fin des années 80 ils étaient 50 millions et leurs prévisions étaient plus qu’optimistes pour l’avenir[25] : With an annual growth rate of 10 percent or more, the protestant movement in Latin America is increasing three times faster then the population in general[26]. Mais ce sont les Églises charismatiques qui seraient principalement à la source de ce développement phénoménal.


Peter Wagner a cherché les causes de cette croissance et a fait ressortir plusieurs point déjà connus du MCE, comme par exemple le caractère fortement « indigène » des Églises locales, l’insistance sur l’évangélisation, l’intégration et l’implication active des nouveaux dans la communauté chrétienne, la planification pour implanter de nouvelles Églises, la réceptivité de la population, l’implication de tous les membres de l’Église dans des ministères bénévoles et dans le témoignage de leur foi, un fort leadership pastoral. Mais il a aussi relevé des éléments qui particularisent les Églises charismatiques et expliqueraient leur croissance plus rapide. Il s’agit de la prière pour les malades, les exorcismes, les liturgies très vivantes, l’excellence des prédicateurs, la formation des pasteurs « dans la rue » au contact des masses.


L’originalité des Églises pentecôtistes est la place majeure et centrale accordée à l’Esprit Saint et à la foi qui opère des miracles (the kind of faith which releases the power of God for supernatural signs and wonders[27]) : The first and most essential dynamic underlying Pentecostal growth is the power of the Holy Spirit[28]. L’exercice des dons charismatiques fait partie de la vie courante des baptisés. Et les pasteurs considèrent comme partie intégrante de leur ministère la manifestation de puissance de l’Esprit Saint. Ils exercent leur foi dans ce qu’ils appellent la quatrième dimension :

Those who minister at the forth level of faith and believe in the day-by-day supernatural operation of the Holy Spirit in signs and wonders have a distinct advantage in winning the masses of Latin America to faith in Christ[29].

Le modèle ecclésial des pentecôtistes accorde une grande importance aux miracles et aux guérisons, mais c’est la conversion de l’individu qui est visée[30]. L’auteur ne cache pas son enthousiasme face à l’approche pentecôtiste et charismatique, mais il n’oublie pas d’en signaler les exagérations : Some Pentecostals go to unfortunate extremes[31].


Ce qui vient éclairer la problématique traitée dans cette thèse est la place accordée à l’Esprit Saint dans la mission. La mission semble être plus vécue comme une volonté de partager la réalité de la présence et de la puissance de Dieu aujourd’hui que comme une poursuite d’efficacité numérique. L’efficacité et la croissance numérique sont manifestes, et même plus qu’ailleurs, mais elles sont attribuées à l’Esprit. Elles ne sont pas poursuivies pour elles-mêmes. On retrouve un peu le même schéma que dans les Actes des Apôtres : la croissance est principalement attribuée à l’action de l’Esprit plutôt qu’à celle des être humains.


Les Églises pentecôtistes ont connu de nombreuses divisions au sein de leur propre dénomination. Elles ont fait preuve d'une tendance à se fragmenter parfois plus grande que celle des autres groupes protestants, mais elles n'en conservent pas moins une certaine cohérence. Cette cohérence est présente au niveau de la vie chrétienne organisée autour de l'action de l'Esprit par qui agit la puissance du Christ ressuscité[32]. L’insistance sur l’action de l’Esprit produit un modèle missionnaire distinct qui, même s’il comprend des éléments du modèle du MCE, apporte une dimension plus spirituelle.


Mais le pentecôtisme s'avérerait plus fort à convertir les gens qu'à promouvoir leur croissance spirituelle après leur conversion : il est plus habile en évangélisation initiale qu'en maturation spirituelle[33]. Il accorde beaucoup d’importance à la formation des nouveaux convertis pour évangéliser et « gagner des âmes » au Christ, mais il est moins fort quand il s'agit de prodiguer une nourriture plus substantielle aux chrétiens engagés qui ne se contentent pas d'être actifs au service du Christ mais qui éprouvent une soif plus grande pour le Christ lui-même[34].


D’après Peter Hocken, les Églises pentecôtistes ne reconnaissent pas suffisamment le besoin d'un enseignement de niveau supérieur à celui des débutants. Tout comme les évangéliques, les pentecôtistes seraient des activistes[35] qui vivraient, certes une expérience spirituelle forte et sensible au début de leur conversion, mais qui, par la suite, ne chercheraient qu’à reproduire cette expérience initiale et à la partager avec ceux qui ne l’ont pas connue. Cette expérience sensible initiale est pour eux si importante qu’ils sont prêts à considérer toute personne qui ne l’aurait pas faite, chrétienne ou non, comme spirituellement ignare et en état de perdition. Tous ceux qui n’ont pas fait l’expérience sensible de l’Esprit sont suspects d’être sur la route de l’enfer, de ne pas connaître Jésus et considérés comme devant être évangélisés pour naître de nouveau et avoir l’assurance de leur salut. Le signe de salut est pour beaucoup de ces Églises, le parler en langue.


L’insistance de la vie avec Dieu dans l’Esprit peut apporter de la vitalité à l’Église et enrichir le modèle du MCE, mais il ne faut pas oublier le danger du subjectivisme ; danger de placer l'expérience au-dessus de la Parole de Dieu elle-même. Chaque pulsion intérieure pouvant être faussement interprétée comme une inspiration de l'Esprit Saint.


Le modèle missionnaire pentecôtiste présente l’avantage de rappeler que le Saint-Esprit est le protagoniste de la mission et qu’il guide l’Église dans sa mission[36]. Il est descendu sur la communauté des croyants afin de les équiper des dons qui leur permettent de remplir la mission qui leur a été confiée. Il va à la rencontre des personnes évangélisées et les prépare à accueillir la grâce de la foi. C’est lui qui, avec le Christ, proclame, rend présent et communique le mystère du salut annoncé par l’Église. Ce modèle fait plus ressortir l’importance de la place à accorder à l’Esprit Saint que de la volonté de s’organiser pour croître numériquement. IL s’agit de collaborer avec l’action et la puissance sensible de l’Esprit et la croissance en sera le fruit.




NOTES

[23] L’approche charismatique met beaucoup d’emphase sur la prière pour les malades par imposition des mains, sur le baptême dans l’Esprit, le parler en langues et toutes les autres manifestations sensibles de l’Esprit Saint.

[24] Comme pour éteindre certaines rumeurs, Peter Wagner répète à plusieurs reprise dans son livre Spiritual Power and Church Growth, qu’il n’est pas pentecôtiste ou charismatique, que ce soit dans l’introduction (p.13), ou deux fois dans le deuxième chapitre (p.32 et p. 36) : I myself am not a Pentecostal or a charismatic.

[25] Cf. P. WAGNER, Spiritual Power and Church Growth, Altamonte Springs, Strang Communications Company, 1986, pp. 26-27. Des chiffres similaires sont proposés par Patrick Johnstone : http://www.jesus.org.uk/dawn/1998/dawn9828.html. Les prévisions, difficilement confirmables pour l’instant, sont de 60 millions d’évangéliques en Amérique Latine en l’an 2000. Voir aussi : Adherents.com - Religion Statistics Location Index, http://www.adherents.com/adhloc/Wh_177.html#444.

[26] Ibid.,. 27.

[27] Ibid., p. 34.

[28] Ibid., p. 31.

[29] Ibid., p. 37.

[30] Cf. ibid., pp. 120-121.

[31] Ibid., p. 122.

[32] Cf. P. Hocken, Le réveil de l’Esprit : Les Églises pentecôtistes et charismatiques, Montréal, Fides, 1994, p. 46.

[33] Ibid., p. 75.

[34] Ibid., p. 75.

[35] Cf. ibid., p. 75.

[36] Cf. Jean-Paul II, La Mission du Christ Rédempteur, Montréal, Ed Fides, 1991, § 21.