9.3 L’Église, un organisme qui croît « de lui-même »

La compréhension de la mission chrétienne et des manières de l’accomplir peuvent être influencées par les images de l’Église. Quant on parle d’implantation ou de greffe, l’Église est comprise comme une plante et plus particulièrement comme un organisme qui se développe. D’autres images ont été utilisées dans le Nouveau Testament : il y a le bercail dont Jésus est l'entrée (Jn 10:1-10); le troupeau qu’il conduit et nourrit (Cf Jn 10:11 ; 1 Pi 5:4); la vigne à laquelle il donne vie et fécondité (Lc 20:9); la construction de Dieu (1Cor 3:9) dont il est la pierre angulaire (Mat 21:42 ; Ac 4:11; 1Pi 2:7). L’Église est aussi la maison de Dieu (1 Tim 3:15) dans laquelle habite sa famille, l'habitation de Dieu dans l'Esprit (Eph 2:19-22), la demeure de Dieu chez les humains (Ap 21:3), le temple saint comparé à la Cité sainte, la nouvelle Jérusalem dont nous sommes les pierres vivantes (1Pi 2:5). Et elle est notre mère (Gal 4:26; cf. Ap 12:17); la fiancée immaculée de l'Agneau (Ap 19:7 ; 21:2,9 ; 22:17) exilée loin de son Seigneur (2 Cor 5:6), attendant l'heure où elle apparaîtra dans la gloire (Col 3:1-4).

L'image d’une plante qui se développe est surtout utilisée dans les paraboles du Royaume de Dieu mais elle concerne aussi l’Église puisque cette dernière est le commencement du Royaume de Dieu sur la terre. Dans les Évangiles, on trouve les paraboles du lis des champs (Mat 6:28), de la semence qui croît d'elle-même (Mc 4:27), de la graine de moutarde (Mat 13:32), des quatre terrains (Mat 13:4ss), de l'arbre et de ses fruits (Lc 6:43).

Christian Schwartz[45], apporte une réflexion intéressante pour mieux comprendre qu’il n’est pas nécessaire de se fixer des objectifs numériques pour croître. D’après lui, l’Église aurait par nature, comme toutes les autres plantes, la vocation de croître. Il utilise l’expression développement naturel et fait référence à ce que les scientifiques appellent le potentiel biotique des organismes vivants. Celui-ci est la capacité naturelle à se développer, à se multiplier et à se reproduire. Il en est ainsi de la communauté chrétienne dont la croissance ne peut être ni fabriquée, ni forcée. La part des êtres humains consiste principalement à assurer à l’Église un environnement favorable[46].

Pour parler du développement naturel de l'Église Schwartz se réfère à l’Évangile de Marc (4:26-29) : Il en est du Royaume de Dieu comme d'un homme qui aurait jeté la semence en terre. Il dort, il se réveille, la nuit et le jour, et la semence germe et grandit sans qu'il sache comment. D'elle-même la terre produit d'abord l'herbe, puis l'épi ; ensuite l'épi se remplit de blé. Dès que le fruit est mûr, on y met la faucille, car la moisson est à terme. L’auteur insiste sur l’expression d’elle-même. Dans la pensée hébraïque, cela voulait dire « sans cause apparente », et pour les Juifs « accompli par Dieu[47] ».

À l’instar des plantes et des organismes vivants, Christian Schwartz voit donc la communauté chrétienne comme une structure organique qui se développe d’elle-même. Il a cherché, par une enquête, les éléments qui seraient communs à toutes les Églises en croissance numérique dans le monde[48] afin de découvrir en quoi consiste l’environnement favorable qui permet à l’Église de se développer. Son enquête a été menée dans mille Églises réparties dans trente-deux pays sur les cinq continents :

Nous avions besoin d’interroger au moins mille Églises dans cinq continents : des grandes et des petites, des croissantes et des déclinantes, des persécutées et des subventionnées par l'État, des charismatiques et des non charismatiques, des modèles renommés et des Églises totalement inconnues. Nous avions besoin d’Églises dans des régions en plein réveil spirituel (comme au Brésil ou en Corée), mais aussi de zones où on parlerait plutôt de « désert spirituel » (par exemple en Europe)[49].

Schwartz appelle les éléments qui favoriseraient la croissance de l’Église des critères de qualité. Ils sont semblables à des indices de santé d’un organisme. Si l’organisme est sain, il va croître de lui-même; si l’Église est saine, elle va croître d’elle-même, c’est-à-dire qu’on n’a pas à la faire pousser. Il s’agit plutôt de garantir sa santé par la présence des critères de qualité découverts dans son enquête.

Les critères de qualité ressemblent aussi à des outils de gestion et beaucoup sont semblables à ceux énumérés dans la première partie mais la différence majeure est qu’ils ne visent pas directement la croissance numérique mais la « santé » de l’Église. Le premier et le deuxième de ces critères concernent l’art de travailler avec les laïcs par la délégation des tâches et de l’autorité. Dans beaucoup de communautés chrétiennes, les responsables cherchent des bénévoles, choissisent eux-mêmes les services qu’ils ont à accomplir et font éventuellement pression sur eux pour qu’ils les accomplissent. Mais Schwartz préconise qu’il faut plutôt donner des tâches selon les dons découverts. Il est nécessaire d’aider les membres de la communauté à trouver leurs dons, de les former et de les impliquer[50]. Il ne s’agit pas pour les dirigeants de se servir des membres de la communauté pour accomplir leurs projets, leurs ambitions ou leurs objectifs personnels, mais plutôt d’inverser la pyramide de l’autorité et d’aider les chrétiens à trouver et à exercer les tâches qui leur conviennent le mieux selon leurs talents et leurs intérêts personnels.

Selon ce critère de qualité, les pasteurs sont appelés à consacrer une grande partie de leur temps à discerner les talents et les intérêts des membres de leur communauté et à les former. Quand on exerce des services qui nous plaisent, on s’implique d’avantage, on a plus de joie à servir l’Église et les efforts sont ainsi multipliés[51]. De tous les critères qui vont suivre, celui de la formation des membres de la communauté et de leur implication selon leurs dons serait celui qui aurait le plus grand impact sur le développement de l'Église.

Le troisième indice de qualité concerne l’enthousiasme de la foi. Quand les chrétiens vivent leur foi avec sincérité, avec joie, avec dynamisme, la communauté grandit. Dans une communauté où la pratique religieuse est vécue comme une obligation, comme une doctrine à connaître ou un code moral à suivre, il y n’y a pas de dynamique de vie rayonnante. Le rôle des pasteurs consiste donc à chercher le renouveau spirituel de la communauté.

Le quatrième critère concerne la qualité des structures organisationnelles. Une Église devrait être organisée et structurée pour aider l’accomplissement de la mission et rendre le travail communautaire plus efficace. Christian Schwartz insiste pour dire que les structures font partie du processus de croissance ; même dans la nature, l’apparition de la vie est une question d’organisation. Ce critère invite à confier des postes de responsabilité aux membres de la communauté[52]. Grâce à cette forme de gestion, on peut facilement multiplier les services des secteurs au sein de la communauté.

Le cinquième critère concerne la qualité des célébrations. Celles-ci peuvent s'adresser aux chrétiens ou aux non-chrétiens, leur style peut être formel ou spontané, leur langage « ecclésiastique » ou « familier » mais l’important c’est qu’elles soient ressenties comme des expériences édifiantes. Trop souvent les célébrations sont considérées comme un fardeau, comme un devoir à accomplir et sont terriblement ennuyeuses. À cause du manque d’enthousiasme qu’elles produisent, les chrétiens n’ont pas envie d’inviter d’autres personnes à l’Église et même s’ils le faisaient les personnes invitées ne reviendraient probablement pas. Il s’agit donc de travailler sur la qualité de la liturgie et de la prédication afin que les participants puissent dire que les célébrations les ont édifiés, qu’elles leur ont donné de la joie, de l’allégresse et une meilleure compréhension de la Parole. Ce genre de rassemblement attire les gens et fait ainsi grandir l’Église d’elle-même[53].

Le sixième critère de qualité concerne les groupes de maison. L'enquête de Christian Schwartz montre que les cellules de maison sont un facteur universel de croissance. Mais on ne doit pas se contenter d'y étudier la Bible, il faut aussi actualiser les textes des Écritures et en trouver des applications concrètes. Les cellules sont un espace ecclésial où les membres peuvent parler de leurs épreuves, poser des questions et trouver le soutien des autres. Elles ont aussi l’avantage de permettre aux chrétiens de se mettre au service de leurs frères et sœurs par leurs dons spirituels et de révéler des responsables potentiels pour la communauté[54].

Le septième critère concerne la qualité de l’évangélisation. Les pasteurs doivent comprendre que si tous les chrétiens ne sont pas appelés à être des évangélistes, tous peuvent cependant employer leurs dons pour évangéliser à leur manière. Chaque chrétien doit mettre ses dons au service des non-chrétiens en entretenant de bonnes relations personnelles et en faisant en sorte que ces derniers puissent entrer en contact avec l'Église et entendre l'Évangile[55]. Il s'agit, pour les membres d’une communauté chrétienne, d'utiliser leurs relations existantes pour partager l’Évangile et adapter leurs efforts d'évangélisation aux problèmes et aux besoins spécifiques de leur milieu[56].

Le huitième critère de qualité concerne les relations humaines dans la communauté chrétienne. Aujourd’hui les homélies et les sacrements ne contentent pas les chrétiens dans leur cheminement de foi, ils désirent aussi la communion fraternelle. Là où l'amour fait défaut, le développement de l'Église est compromis[57].

L’angle nouveau utilisé par Christian Schwartz pour aborder la croissance de l’Église est éclairant pour la problématique soulevée dans notre travail. Il remet en question la forte conviction des théologiens et des pasteurs du Mouvement de la croissance des Églises qu’il faut nécessairement se fixer des objectifs numériques pour permettre la croissance de l’Église. Christian Schwartz préconise plutôt l’utilisation d’objectifs de qualité ou de santé. Il ne s’agit pas de rechercher à être plus nombreux mais de chercher la santé de l’Église par la présence des critères de qualité.


NOTES

[45] Christian Schwartz, né en 1960, est le directeur de l’Institut de Recherche pour le développement de l’Église. Il a écrit plusieurs livres sur la théorie et la pratique du développement de l’Église.

[46] Cf. C. SCHWARTZ, op. cit., pp. 8-10.

[47] Cf. ibid., p. 12.

[48] Cf. ibid., p. 15.

[49] Ibid., p. 18.

[50] Cf. ibid., pp. 24-25.

[51] Cf. ibid., p. 22.

[52] Cf. ibid., pp. 28-29.

[53] Cf. ibid., p. 30-31.

[54] Cf. ibid., pp. 32-33.

[55] Ibid., pp. 34-35.

[56] Cf. ibid., p. 35.

[57] Cf. ibid., p. 37.