Synthèse de la deuxième partie et hypothèse

Dans cette deuxième partie, nous avons considéré les limites d’une missiologie et d’une ecclésiologie qui considère la mission de l’Église en grande partie comme une recherche de nouveaux convertis (a vast and purposful finding[58] dit McGavran). Une telle compréhension de la mission ne rejoint pas le sens profond du message évangélique et ne colle pas à une vision globale de l’Évangile, c’est-à-dire qui ne se cantonne pas à une parabole en particulier : la croissance est une bénédiction accordée au peuple de Dieu lorsque celui-ci est fidèle à l’Alliance.

Être fidèle à l’Alliance, c’est mettre en pratique la parole de Dieu, c’est observer les préceptes de la Loi qui se résument dans les deux plus grands commandements de la Loi : Aimer Dieu de tout son être et son prochain comme soi-même. Dans ce sens, l’intention première de l’Église n’est pas de multiplier ses membres. Au niveau organisationnel cela veut dire que la recherche d’efficacité dans l’action doit se centrer sur les personnes, elle n’est pas au service des organisations mais au service de l’amour. Les chrétiens devraient d’abord chercher à être des signes d’amour, d’unité; des signes de la présence et de l’action de Dieu dans le monde.

Comme dans le modèle de Mère Térésa, on peut aimer Dieu et son prochain dans le pauvre. Comme dans le modèle des communautés ecclésiales de base, on peut l’aimer en conscientisant un peuple afin que les systèmes politiques qui engendrent oppressions et injustices soient changés. Un salut concret, incarné, est ainsi offert pour transformer et améliorer les réalités de ce monde. Quant au modèle pentecôtiste, il présente un Dieu qui agit par son Esprit pour guérir les malades et offre un salut eschatologique en Jésus-Christ. L’expérience de Taizé apporte au monde l’espérance que l’amour et l’unité sont possible malgré les différences. Chacun de ces modèles est signe, à sa manière, de l’identité et de l’amour de Dieu. Ce sont plus ces signes évangéliques qui déclenchent le développement de l’Église que l’utilisation d’objectifs numériques.

Un modèle d’Église locale qui à du sens à la lumière de l’Évangile ne peut donc pas se passer d’être un signe vécu d’Évangile. Sa mission est de libérer l’être humain de la pauvreté, de la souffrance et de ce qui l’opprime matériellement et spirituellement. Sa mission est aussi de chercher son actualisation et sa croissance en lui donnant des buts qui le font grandir par l’expérience de l’amour. La mission chrétienne a alors réellement du sens pour les membres de l’Église. Le but premier de l’Église locale devrait donc être, non seulement de lutter contre les pauvretés d’un milieu, mais aussi d’offrir un chemin d’actualisation et de croissance à ses membres. Il s’agit non pas de proposer une recherche égoïste de réalisation de soi, mais un projet d’intervention qui donne un sens aux membres de la communauté et leur permette de partager l’amour de Dieu qu’ils reçu en Jésus-Christ. La question : qu’est ce que les gens du milieu attendent de l’Église locale? Quels sont les besoins du milieu ? aidera la communauté à se tourner vers les autres et à s’actualiser.

On peut donc envisager de proposer à l’ensemble des membres de l’Église un projet missionnaire fondé tant sur les impératifs de la fin des Évangiles et Matthieu (28:19-20) et de Marc (16:15-20) que sur les enseignements de la parabole du jugement dernier (Mat 25:31-46). Ainsi, on en arriverait à un modèle d’Église qui complète l’approche du MCE. L’Église propose un salut intégral qui n’est pas seulement eschatologique mais aussi temporel pour soulager les souffrances de son milieu et lutter contre les pauvretés et les injustices.

Il ne s’agit pas de se désintéresser totalement de l’aspect numérique de l’Église. Les Actes des Apôtres montrent que la croissance numérique est le résultat de l’action de l’Esprit. L’absence de ce signe peut poser question sur la place qui est accordée à l’Esprit et à son action dans la communauté. La décroissance, ou la stagnation numérique, invite à chercher comment mieux collaborer avec l’Esprit pour permettre à la parole de Dieu de croître et de se multiplier (Ac 12:24; 19:20).

L’utilisation d’outils de gestion aidera la communauté à être plus efficace dans l’accomplissement de sa mission et contribuera ainsi à l’actualisation de ses membres, mais les moyens pris devront être en accord avec la conscience morale et être au service des personnes. Il ne serait pas évangélique de se servir des membres de la communauté pour accomplir la mission de l’Église. Selon la pensée de Schwartz, les critères de qualité (qui sont les outils de gestion) peuvent êtres utilisés pour favoriser la santé de la communauté, permettant ainsi la croissance naturelle de l’Église.

À l’exemple de Jésus, choisissant un certain nombre de disciples pour les enseigner d’une manière particulière, le (ou les) responsable(s) de communauté devrai(en)t former certains membres non-ordonnés à se consacrer à la mission de l’Église d’une manière plus intense. Dans tous les cas, la communauté aura avantage à s’organiser pour repérer les dons des membres et pour que toutes les personnes puissent s’impliquer d’une manière ou d’une autre. Les responsables de secteurs et les groupes de maison sont un excellent moyen pour y parvenir.

En concevant l’Église locale comme un corps qui se greffe dans un tissu d’humanité particulier on verra mieux l’importance à accorder à l’accueil et au dialogue avec les réalités humaines qui composent l’environnement. L’Église ne vient pas remplacer ou effacer une réalité sociale et culturelle existante; elle actualise l’Église de Jérusalem dans un lieu donné. Son but est autant de recevoir de la richesse de son milieu que de partager celles qui sont les siennes.

La partie qui va suivre aura pour objectif de clarifier certains éléments de la réflexion afin de les arrimer et de les articuler dans un modèle concret. On parlera de croissance, de salut et d’aide envers les pauvres, mais ces notions seront intégrées les unes aux autres et comprises dans leur dimension globale permettant de parler d’un modèle de croissance intégrale.


NOTES

[58] D. McGAVRAN , op. cit., p. 38.